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Pierre Yovanovitch : « L’opéra me permet d’être excessif et de rêver »

17/09/2022
Le décorateur Pierre Yovanovitch
© Vincent Desailly

Depuis plus de vingt ans, l’architecte d’intérieur développe aux quatre coins de la planète un style unique alliant sobriété, authenticité, savoir-faire et élégance. Seul Français régulièrement classé parmi les cent meilleurs décorateurs au monde par le très chic magazine américain Architectural Digest, il cultive une passion dévorante pour l’opéra, qui fut nourrie par sa longue amitié avec Jessye Norman. Rencontre.

Comment est née votre passion pour l’opéra ?

J’ai fréquenté le Conservatoire de Nice et joué du piano jusqu’à mes 15 ans. J’ai découvert l’art lyrique quelques années plus tard, vers l’âge de 20 ans, en assistant à un récital de Jessye Norman à Pleyel. Elle interprétait les Quatre derniers lieder de Strauss. J’ai ressenti un véritable choc esthétique ! J’ai été pris d’une passion compulsive et frénétique pour rattraper mon retard. J’ai construit ma culture lyrique en achetant beaucoup de disques, de livres et en courant de récitals en représentations à Paris, Salzbourg et New York.


Dans une résidence d’Ixelles, à Bruxelles, Pierre Yovanovitch a choisi de faire dialoguer cette grande pièce baignée de lumière avec le couloir en arrière-plan, aux tons plus foncés, comme un metteur en scène initierait un jeu entre les coulisses et la scène. © J. M. Alorda

Dans une résidence d’Ixelles, à Bruxelles, Pierre Yovanovitch a choisi de faire dialoguer cette grande pièce baignée de lumière avec le couloir en arrière-plan, aux tons plus foncés, comme un metteur en scène initierait un jeu entre les coulisses et la scène. © José Manuel Alorda

Quel répertoire aimez-vous ?

J’aime essentiellement la musique du XXe siècle. Je pourrais écouter en boucle Le Château de Barbe-Bleue de Bartók, La Voix humaine de Poulenc, les opéras de Strauss comme Salomé, Elektra ou Le Chevalier à la rose. Je préfère les œuvres courtes avec une intensité dramatique forte et condensée.

Quelle place occupe l’opéra dans votre vie et votre travail ?

L’opéra me permet d’être excessif, de rêver et de ressentir des émotions fortes. Mon travail est cependant plus serein que la musique que j’écoute ! J’aime la musique quand elle est difficile et dramatique alors que j’essaie au contraire de créer des environnements calmes, dans lesquels on se sent apaisé. À l’opéra, tout concourt à raconter une histoire. J’essaie de faire la même chose dans chacun de mes projets. Je cherche un fil conducteur pour raconter une histoire et provoquer une rencontre entre un lieu et un client.

Vous avez entretenu une relation personnelle avec Jessye Norman durant de nombreuses années. Comment l’avez-vous rencontrée ?

J’ai eu la chance de la rencontrer lors d’un dîner organisé par Pierre Bergé. J’étais fasciné par sa voix et sa personnalité depuis ce fameux concert à Pleyel. J’ai un peu forcé le destin : je suis allé lui parler et on a sympathisé. Je l’ai ensuite accompagnée en voyage au Maroc, en Espagne et lors de nombreux récitals. C’était une immense star, engagée politiquement, qui a dédié toute sa vie à son travail. Elle était audacieuse, habitée, très théâtrale et en même temps chaleureuse, drôle et attentionnée. J’admirais son exigence qui l’a parfois amenée à choisir des récitals pour ne pas avoir à subir l’approximation ou le manque de préparation de certains de ses collègues. Nous avions en commun cette horreur de l’à-peu-près. Et j’admirais aussi sa beauté, son port altier et ses turbans…

Vous êtes également un collectionneur d’art contemporain. Votre vie semble totalement dédiée à l’art…

J’aime la rencontre avec les artistes. Ce sont souvent des personnes humbles – même s’il y a bien sûr quelques divas ! J’aime confronter l’architecture avec l’art contemporain. L’opéra est justement un lieu de rencontre entre le théâtre, l’art et la musique. Je trouve dommage que certains lyricomanes privilégient la musique et se détournent de mises en scène qui questionnent la tradition. Dans ce cas, autant se
contenter de versions de concert.

À l’opéra, les metteurs en scène cherchent à donner une résonance contemporaine aux œuvres du passé. C’est une démarche qui vous est familière.

La réinterprétation fait partie intégrante de mon travail. Dans chacun de mes projets, j’essaie de respecter le lieu que j’investis, d’en comprendre l’essence, de l’intégrer dans l’histoire de mon commanditaire et de lui donner une nouvelle vie, forcément différente de la précédente. Je suis intéressé par le présent, pas par le passé.


Au spa de l’hôtel Le Coucou, à Méribel, le travail de Pierre Yovanovitch reflète l’histoire et la tradition de la région tout en intégrant des éléments contemporains qui font son identité. © J. Galland

Au spa de l’hôtel Le Coucou, à Méribel, le travail de Pierre Yovanovitch reflète l’histoire et la tradition de la région tout en intégrant des éléments contemporains qui font son identité. © Jérôme Galland

Récemment, vous avez lancé une collection de mobilier et conçu la scénographie de plusieurs expositions d’art contemporain.
Vous aimez vous diversifier. Avez-vous des projets en lien avec le monde du spectacle ?

Je vais bientôt réaliser un rêve ! Le metteur en scène Vincent Huguet m’a proposé de concevoir la scénographie d’une nouvelle production de Rigoletto qui sera présentée à Bâle la saison prochaine. Je suis ravi de faire mes débuts avec cet opéra de Giuseppe Verdi dont l’histoire est profondément actuelle, avec une réflexion sur les puissants, le sexe, et, bien sûr, le pouvoir, et qui se prête à un nombre infini d’interprétations.

Quel est votre plus beau moment d’opéra?

La mise en scène d’Elektra par Patrice Chéreau au Festival d’Aix-en-Provence en 2013. Cette lecture crépusculaire de l’affrontement entre une mère et sa fille était d’une beauté et d’une fulgurance exceptionnelles. C’est encore aujourd’hui une émotion intacte.

Propos recueillis par LOUIS GEISLER

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