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Evénement

Didon et Énée revisited : à l’Opéra de Bordeaux, une académie autogérée

26/01/2023
Amandine Portelli (Didon) et Eduard Ferenczi-Gurban (Énée) © Accent Tonique

Le 15 décembre dernier, les membres de la toute première académie collaborative – et sans chef ! – de l’Opéra National de Bordeaux présentaient leur sortie de résidence à la Ferme de Villefavard. Retour sur cette étape importante, première esquisse de leur adaptation « libre et engagée » du chef-d’œuvre de Purcell, dans laquelle ils s’apprêtent à fouler les planches du Grand-Théâtre de la cité girondine.

Villefavard, Limousin. En ce soir brumeux de fin d’automne, la cour de la ferme brille d’une lumière qui murmure l’imminence d’un événement. Les lampions colorés autour de la fontaine et les feux allumés aux quatre coins invitent à traverser les pavés, à longer la baie vitrée des cuisines où règne une chaleureuse agitation, et à entrer dans la grange, qui se révèle être une salle de concert de trois cent places, à l’acoustique signée Albert Yaying Xu – tout comme celles de la Philharmonie de Luxembourg, de l’Arsenal de Metz, du Grand Théâtre de Bordeaux, etc. 

Chef, le mot tabou

Après plusieurs jours à Villefavard, et quelques répétitions en octobre et novembre, les quatre chanteurs et cinq instrumentistes, la metteuse en scène et le scénographe de l’Académie de l’Opéra National de Bordeaux sont en sortie de résidence : avec émotion et fébrilité, ils présentent une première ébauche de leur travail collaboratif. Seule l’arrangeuse n’a pas participé à cette semaine intensive, où la jeune troupe d’opéra était livrée à elle-même au cœur de la campagne, pour monter cette adaptation de Dido and Aeneas de Purcell.


Emmanuel Hondré, directeur de l’Opéra National de Bordeaux.
© Nora Houguenade

Ce pari, c’est celui d’Emmanuel Hondré, enthousiaste directeur général de l’Opéra National de Bordeaux, qui a voulu « faire confiance aux jeunes et à ce qu’ils ont à dire ». Les participants ont été sélectionnés pour leurs qualités artistiques, mais également pour leurs capacités à être créatifs et porteurs du projet. Pas de chef parmi les académiciens, ici le mot est tabou ! L’objectif est « de ne pas faire de l’art d’assemblage, avec chacun qui travaille de son côté », souligne l’initiateur de cette nouvelle pépinière lyrique. 

Autogestion, atelier collaboratif, laboratoire de création… toutes les formulations choisies indiquent que la petite troupe doit trouver ses ressources en elle-même – même si, au cours des semaines précédentes, des professionnels chevronnés les ont ponctuellement écoutés et guidés. Alors qu’Emmanuel Hondré avait presque regretté ne pas avoir pu pousser le concept jusqu’à laisser les artistes se choisir entre eux « pour pressentir l’alchimie », il semblerait que les jurys des auditions aient eu la main heureuse. Sur scène, la cohésion du groupe est frappante. 

Raconter l’histoire autrement

Il faut dire que, merveilleuse métaphore du projet, le spectacle imaginé par Louise Brun octroie aux chanteurs comme aux instrumentistes un rôle à part entière. Ces derniers interagissent dans l’histoire et évoluent organiquement au milieu des personnages ; y compris, et surtout, la violoncelliste Garance Buretey Tiprez, dont l’instrument semble être un prolongement d’elle-même. Tous costumés, ils sont de véritables « aides à la narration », comme l’explique la bandonéiste Louise Jallu. 


Didon et Énée revisited par l’Académie de l’Opéra National de Bordeaux à la Ferme de Villefavard. © Accent Tonique

Arrangé pour quatre voix, un violon, une flûte, une clarinette, un violoncelle et un bandonéon par Haru Shionoya, ce Didon et Énée revisited nécessitait de raconter l’histoire autrement – « sans pour autant la changer », insiste la metteuse en scène, qui s’est replongée dans l’Énéide de Virgile au cours de son travail préparatoire. « Je n’ai pas cherché à créer quelque chose de nouveau, mais à dérouler le récit en fonction de cette musique [réécrite] », explique la jeune femme, qui possède déjà à son actif de nombreuses collaborations avec l’Opéra de Bordeaux, d’abord en tant que régisseuse, puis en tant qu’assistante à la mise en scène. « Je voulais raconter une histoire d’amour, une histoire simple », ajoute-t-elle. 

Pour servir ce récit, Louise Brun s’est concentrée sur les figures d’exilés que représentent les personnages de Didon et Énée, avec leurs fragilités et leurs contradictions, dans un poétique ancrage méditerranéen sans véritables repères temporels. Et pour la direction d’acteurs, elle s’est essentiellement laissé inspirer par la sensibilité propre à chaque interprète. « Louise est très à l’écoute de chaque personnalité. Chacun essaie d’y mettre son grain, y compris les instrumentistes, et ces résidences permettent d’avoir une bonne cohésion », raconte la mezzo-soprano Amandine Portelli, dont la jeunesse contraste, dans le rôle de Didon, avec le timbre riche et chaud. 

Un opéra transportable

« Inclure les instrumentistes [dans le jeu théâtral] les rend plus proche des chanteurs et plus sensibles », complète Louise Jallu. Il semblerait donc que la mayonnaise ait pris en matière de coopération, même si la metteuse en scène a naturellement pris un rôle de « rassembleuse ». Et elle peut compter sur « son » scénographe, Théo Phélippeau (qu’elle a elle-même choisi pour ce projet) aussi bien pour mettre sa créativité au service d’une esthétique épurée mais finement élaborée, que pour communiquer sa pétulance à toute la troupe.


Toute l’équipe de Didon et Énée revisited à la Ferme de Villefavard.
© Accent Tonique

Les académiciens présenteront leur spectacle à l’Opéra de Bordeaux les 4, 5 et 6 février. En parallèle, les chanteurs auront l’occasion de participer à certaines productions de la maison lyrique et de se produire en récital. L’aventure s’achèvera par une tournée : leur opéra n’est pas seulement revisité et autogéré, mais également transportable ! 

Quant à la Ferme de Villefavard, devenue récemment Centre culturel de rencontre – un label octroyé à des monuments historiques ayant perdu leur vocation d’origine et proposant une activité artistique ou intellectuelle –, elle et son dynamique directeur Sébastien Mahieuxe attendent avec impatience la prochaine collaboration avec l’Opéra de Bordeaux. Car l’année prochaine, un nouveau groupe de jeunes interprètes investira les lieux, toujours avec l’ambition de s’approprier ces « zones à défendre » que représentent la musique et la scène.

ROXANE BORDE

À voir :

Didon et Énée revisited d’après Henry Purcell, avec l’Académie de l’Opéra National de Bordeaux, dans une mise en scène de Louise Brun, au Grand-Théâtre de Bordeaux, du 4 au 6 février 2022.

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