Les inséparables Olivier Py et Pierre-André Weitz, chorégraphes...
Les inséparables

Olivier Py et Pierre-André Weitz, chorégraphes d’espace et scénographes universels

27/02/2023
Pierre-André Weitz et Olivier Py © Théâtre des Champs-Élysées

L’un, ou l’une, signe les décors, les costumes, quelquefois les lumières, l’autre pense la dramaturgie, et anime, au plateau, les visages et les corps… quand il n’est pas tout bonnement impossible de savoir exactement qui fait quoi. Mais ensemble, toujours. Saisis dans leur mouvement perpétuel en pleines répétitions du diptyque composé du Rossignol de Stravinsky et des Mamelles de Tirésias de Poulenc, au Théâtre des Champs-Élysées, Olivier Py et Pierre-André Weitz ouvrent le bal des inséparables de la mise en scène lyrique. Et la porte de leurs coulisses conjugales.

Ils comptent trente-deux années de vie – professionnelle – commune, sont les heureux parents d’une cinquantaine de productions d’opéra et de quelque deux-cents mises en scène de théâtre, complètent mutuellement leurs phrases et s’expriment à coups de « on » et de « nous »… Olivier Py et Pierre-André Weitz ont tout du vieux couple exemplaire dont on aimerait connaître les secrets. Et pas question de divorcer : « C’est trop tard ! », lance le metteur en scène. « Nous nous sommes rencontrés au Théâtre du Peuple de Bussang : je jouais dans un spectacle dont Pierre-André faisait les décors. Nous avons commencé à travailler ensemble l’année suivante », se souvient-il. « Ce n’est pas tout à fait vrai », interrompt son complice avec sa voix sonore de Heldentenor : « Il m’a tout de suite demandé si j’étais d’accord pour faire un décor, la première était le soir même ». Ils disent se compléter à merveille, leurs récits en font tout autant.


Alceste de Gluck, dans la mise en scène d’Olivier Py, dont Pierre-André Weitz dessinait les décors en direct, au Palais Garnier, en 2013. © Agathe Poupeney

Quand leurs chemins se croisent en 1989, les deux hommes sont tout de suite certains de ne pas s’arrêter là : « On s’est dit qu’on était des frères pour faire des marionnettes ensemble », évoque le scénographe. Ils ont chacun de nombreuses compétences – Pierre-André Weitz est architecte, chanteur d’opéra, décorateur et costumier, Olivier Py est comédien, metteur en scène, et ancré dans la vie intellectuelle – et vont imaginer, ensemble, une nouvelle façon d’aborder la scène.

Le scénographe propose, le metteur en scène dispose

À une époque où « les scénographies étaient dramaturgiques, et s’adaptaient à l’œuvre », le duo nouvellement formé crée « une machine », une « chorégraphie d’espace » qui permettrait de jouer toutes les œuvres du répertoire. « On a inventé autre chose : une scénographie qui serait universelle », explique Olivier Py. « Mais ensuite, il faut trouver l’esthétique, le papier peint propre à chaque pièce », complète son acolyte. Le scénographe propose alors des éléments de décor, dont le metteur en scène dispose : « À chaque fois que je fais des suggestions à Olivier, il va trouver quelque chose à en faire de beaucoup plus extraordinaire que ce que j’avais imaginé ». L’éclairagiste Bertrand Killy complète le tandem depuis trente ans, et tous les trois forment une équipe très soudée : « C’est comme si on n’était qu’une seule personne », insiste Olivier Py.


Olivier Py, alias Miss Knife (Corinne) dans Mam’zelle Nitouche d’Hervé, mis en scène par Pierre-André Weitz, à Angers Nantes Opéra, en 2017. © Jeff Rabillon

Metteur en scène et scénographe sont tous deux musiciens : Pierre-André Weitz chante et joue d’à peu près tous les instruments à vent, Olivier Py, qui fait, lui aussi, usage de sa voix, mais dans un autre registre, sous le pseudonyme de Miss Knife, pratique par ailleurs le piano – un instrument « déclinant » (« On ne peut jamais commencer piano et continuer forte ») qu’il dit aller très bien au mélancolique qu’il est. Ce rapport étroit à la musique, qui est un autre de leurs dénominateurs communs, se manifeste par plusieurs aspects très concrets lors de l’élaboration de leurs dramaturgies. 

D’abord, la continuité : dans leurs spectacles, les décors sont en mouvement ; comme dans la musique, l’image ne se fige jamais. Concrètement, par quoi cela se traduit-il ? « Des roulettes », évoque humblement Pierre-André Weitz, alors que ses prouesses techniques permettant aux décors de se métamorphoser en quelques secondes ne sont inconnues de personne. Et même quand le spectateur a une impression d’immobilité, il peut être sûr que ce n’est pas le cas : « Dans Tristan und Isolde, nous avions conçu un décor qui se déplaçait à un mètre par minute, une vitesse inférieure à ce que l’œil peut voir ». Le public était donc persuadé que rien ne bougeait, mais voyait bien que les éléments évoluaient. De quoi faire perdre la tête ? « Ah oui, mais Tristan, ça rend fou ! »


Tristan und Isolde de Wagner, mis en scène par Olivier Py, à Angers Nantes Opéra, en 2009. © Jeff Rabillon

Autre élément en lien avec la musique : leur sensibilité synesthésique. Tous deux associent des couleurs aux sons et aux harmonies. « Ce n’est pas pour rien que Messiaen est l’un de mes compositeurs préférés », glisse Olivier Py. Et leur travail de correspondances va encore plus loin : après les recherches sur le contexte historique et les anecdotes d’écriture de l’œuvre et de sa création, Pierre-André Weitz se plonge dans la partition et se laisse envahir par ce que lui évoque la musique. L’espace devient « sonore, avec un rythme ternaire ou binaire », et également matière : « bois, laiton ou transparent. Elle est la musique de l’espace ».

Des objets redondants et paradigmatiques

Lorsqu’ils entament une nouvelle production, les deux associés commencent donc par réaliser de petites maquettes en papier « qui peuvent tenir dans une boîte d’allumettes ». Au fur et à mesure de la conception de la dramaturgie, enrichie par le contexte philosophique, intellectuel et politique plutôt apporté par l’un, et par les images musicales peut-être davantage imaginées par l’autre, un storyboard et une cohérence esthétique voient le jour. Très vite, des objets « redondants et paradigmatiques » déjà utilisés dans d’autres productions se glissent dans les décors. Pas de vrais symboles, mais une sorte de grammaire. Ou des obsessions communes, pourrait-on dire aussi. À l’instar des éléments de métathéâtralité présents dans chacune de leurs mises en scène : « J’ai l’impression que je n’ai jamais rien fait d’autre », s’amuse Olivier Py. Et dans ce diptyque Stravinsky/Poulenc, difficile de la rater : à la fin du Rossignol – attention spoiler ! –, les décors se retournent, et le spectateur se retrouve dans une maison d’opéra, à Zanzibar, où se déroule la trame narrative des Mamelles de Tirésias.


Maquette de décor de Pierre-André Weitz pour Les Mamelles de Tirésias de Poulenc au Théâtre des Champs-Élysées.

Tous deux tiennent également beaucoup à traduire les enjeux d’une œuvre en des termes contemporains qui tiennent compte du contexte actuel. « C’est comme si on enlevait un vieux vernis et qu’on retrouvait les couleurs d’antan », explique Olivier Py, « parfois, cela surprend le public, qui peut nous accuser de trahison, mais c’est justement la plus grande fidélité qu’on peut montrer ». Et les deux complices de se donner à nouveau la réplique pour illustrer leurs propos : « On ne peut pas monter aujourd’hui Madama Butterfly de Puccini… », commence l’un, « … comme si Hiroshima n’avait pas eu lieu », complète l’autre. « Ni La Juive d’Halévy… », repart le premier de plus belle, « … comme si la Shoah n’avait pas existé », renchérit le deuxième. 

Alors, quid des Mamelles de Tirésias à l’ère post-#MeToo ? « Ce n’est pas non plus la peine d’appuyer les choses outre mesure, l’œuvre résonne déjà ici et maintenant », explique Pierre-André Weitz. « Mais après, c’est vrai qu’on essaye de tirer certains fils », ajoute-t-il, sans rien dévoiler de plus… Pour tenter de les identifier, ainsi que tous les autres ressorts de la machinerie scénique du tandem, rendez-vous, à partir du 10 mars, au Théâtre des Champs-Élysées !

ROXANE BORDE

À voir :

Le Rossignol d’Igor Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, avec l’Ensemble Aedes, Les Siècles, Sabine Devieilhe (Le Rossignol et Thérèse-Tirésias / La Cartomancienne), Cyrille Dubois (Le Pêcheur / 1er émissaire japonais et Le Journaliste parisien / Monsieur Lacouf), Chantal Santon Jeffery (La Cuisinière et Une dame élégante), Laurent Naouri (Le Chambellan et Le Directeur de théâtre), Victor Sicard (Le Bonze et Le Gendarme), Rodolphe Briand (3e émissaire japonais et Le Fils / Une grosse dame), Francesco Salvadori (Un émissaire japonais et Monsieur Presto), Jean-Sébastien Bou (L’Empereur de Chine et Le mari de Thérèse) et Lucile Richardot (La Mort et La Marchande de journaux), sous la direction de François-Xavier Roth, et dans une mise en scène d’Olivier Py, au Théâtre des Champs-Élysées, du 10 au 19 mars 2023.