Les métiers de l’opéra Agnès Terrier, dramaturge
Les métiers de l’opéra

Agnès Terrier, dramaturge

02/09/2022
© Fabrice Robin

Indispensables à la vie d’un théâtre lyrique, ces femmes et ces hommes ont choisi de rester dans l’ombre, plutôt que de s’exposer aux feux de la rampe. Cheville ouvrière de l’Opéra Comique, dont elle est la dramaturge depuis 2007, Agnès Terrier nous ouvre, la première, la porte des coulisses.

Comme une petite dizaine de personnes en France, Agnès Terrier est dramaturge d’une institution lyrique, en l’occurrence de l’Opéra Comique. « Ce n’est pas un métier standardisé, précise-t-elle. Chacun a développé ses activités en fonction de son identité, de son parcours personnel, des besoins de la maison. » Ne vous fiez pas au Larousse pour comprendre sa fonction : « Je ne suis pas autrice pour le théâtre, mais en charge de la compréhension de la dramaturgie des œuvres que nous présentons, au niveau du contexte historique, littéraire et musicologique. »

Le discours et la méthode

Elle occupe également des responsabilités de conseillère artistique, et a donc « une vision plus large du répertoire d’opéra-comique, et plus généralement français ». Elle est aussi « force de proposition sur les œuvres à restaurer ». Son périmètre a la particularité de couvrir « l’histoire de l’institution et du bâtiment, et tout ce qui a trait aux questions esthétiques, patrimoniales et d’histoire de l’art ».

Le foyer de l’Opéra Comique © Designers Anonymes

Dans cette « maison à taille humaine, avec un public fidèle », sur les Grands Boulevards, « l’histoire du périmètre urbain et de la société parisienne » est intéressante à prendre en compte car « les théâtres d’opéra ont longtemps été les lieux principaux de sociabilité, symptomatiques des passions et des émotions. Les spectacles lyriques sont des phénomènes sociaux, et répondent à certains besoins de la société occidentale – que comblent aujourd’hui le sport, le cinéma ou Netflix. Il y a une époque où ce qui se passait dans les théâtres donnait forme à un vivre ensemble. » La méthode est primordiale : « Je fais des recherches tous azimuts qui ne contrarient pas le projet scénique, et discute avec les artistes, car le projet scénique ne me suffit jamais. Comme une historienne, je vais chercher les sources et la presse de l’époque, je travaille sur l’ensemble de la vie du compositeur et du librettiste, sur les archives graphiques.»

Le fruit de ces recherches trouve d’abord une oreille attentive parmi les équipes du théâtre. Certains metteurs en scène et chefs d’orchestre – ceux qui n’ont pas leur propre dramaturge – la sollicitent ainsi pour bâtir un échange sur la version la plus pertinente de l’œuvre à monter, des considérations historiques et littéraires, voire le sens même de la pièce.

Agnès Terrier lors d’une visite « verticale » de l’Opéra Comique à l’occasion des Journées du Patrimoine © Stefan Brion

Agnès Terrier s’adresse enfin aux spectatrices et spectateurs avant chaque spectacle. Elle intervient aussi au cours de rencontres avec les artistes, et des présentations de saisons. « Je ne vois pas mon travail comme uniquement à la table. Ces exercices de synthèses orales me permettent de mettre mes idées en ordre. Ils sont nécessaires pour présenter les titres inconnus et oubliés que nous programmons, mais aussi les ouvrages que tout le monde croit connaître. Le quotidien nous domine, si bien qu’à l’arrivée au théâtre, on ne sait souvent plus grand-chose de Carmen ! »

Elle se plaît à veiller à l’équilibre des époques et des genres musicaux dans la programmation des saisons, et à la valorisation du patrimoine maison. « La Salle Favart est un superbe instrument de musique, avec son acoustique qui a toujours favorisé le parlé-chanté et un contact très particulier entre le public et les artistes. Nous ne programmons que des œuvres qui ont été créées dans des conditions similaires. C’est un très large vivier de titres formidables et rares, qui étaient des objets intellectuels. » Pour les créations contemporaines, qui la passionnent particulièrement, elle s’efforce de suivre le projet littéraire et musical au plus près des artistes.

La Salle Favart © Stefan Brion

Agnès Terrier confectionne également le contenu du programme de chaque spectacle – six à huit par saison –, en faisant appel à des rédacteurs spécifiques en fonction des répertoires et des sujets à aborder.

Le capital du passé

Le point commun de tous les dramaturges est « d’être dans l’écrit et dans l’oral. Nous sommes des personnes-ressources travaillant dans le temps long de la recherche, avec une connaissance en amont des projets. Certains se consacrent plus à l’éditorial, y compris le surtitrage. D’autres s’occupent aussi de distributions vocales, ce qui n’est pas mon cas. » La dramaturgie d’opéra est donc « une activité mixte, qui demande un parcours mixte. C’est un bagage qui s’accumule. Il est préférable d’avoir fait de la musicologie, de la musique ou du chant, de la littérature ou des arts du spectacle. J’ai la chance d’avoir eu une expérience variée de la scène, écrit des livrets et des livres, fait de l’assistanat à la mise en scène, aux lumières et à la régie. J’ai aussi été formée par mes années d’enseignement. L’idée est d’être pédagogue, d’accrocher le public. Aujourd’hui, le fait d’être passeuse compte beaucoup dans mon travail ».

Statues de Carmen et Manon dans le hall de l’Opéra Comique © Citadelles & Mazenod – Sabine Hartl & Olaf-Daniel Meyer

La particularité d’Agnès Terrier, à l’Opéra Comique, est de s’occuper beaucoup de patrimoine. « Je me suis beaucoup investie quand nous avons eu nos chantiers de restauration. J’ai cette appétence pour l’histoire du lieu et la valorisation de ses archives. » Cela l’a ainsi amenée à concevoir le tricentenaire de l’Opéra Comique en 2014-2015, en remontant aux origines foraines de l’institution, avant qu’elle ne devienne un théâtre officiel. « Il m’arrive aussi de reconstituer des saisons à partir de photos que nous retrouvons dans les bureaux ou de dons de particuliers. »

Pour La Muette de Portici, elle avait organisé une exposition dans la station de RER Auber, qui porte le nom du compositeur. Elle est aussi sur la piste d’une statue du Drame Lyrique ayant orné le hall avant celle, actuelle, de Carmen. Enquête en cours !

THIBAULT VICQ

La saison 2022 de l’Opéra Comique reprendra le 28 septembre avec une nouvelle production de Lakmé de Léo Delibes dirigée par Raphaël Pichon et mise en scène par Laurent Pelly.

La programmation du premier semestre 2023 sera dévoilée le dimanche 18 septembre à 11 h, lors des Journées européennes du patrimoine.

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