Les métiers de l’opéra Jo Heyvaert, surtitreur
Les métiers de l’opéra

Jo Heyvaert, surtitreur

09/12/2022
© Thibault Vicq

Au-dessus du cadre de scène, sur le fauteuil devant soi, en latéral – et bientôt sur des lunettes connectées ? –, les surtitres sont le sésame de compréhension des œuvres pour les spectateurs d’opéra. Depuis plus de vingt-cinq ans, Jo Heyvaert est en charge des textes en néerlandais sur les écrans de la Monnaie de Bruxelles.

« Le surtitreur est un assassin, » annonce Jo Heyvaert d’entrée de jeu. Le métier de surtitreur réside en effet dans la coupe, afin de faire face à la quantité de texte que le public peut absorber à vue. La traduction du livret et le contenu des écrans – en français et en néerlandais au Théâtre Royal de la Monnaie –, prennent fatalement des formes asymétriques, car ils répondent à des impératifs distincts : la première respecte la lettre, transposant notamment des niveaux de langage, alors que le second se veut fidèle à l’esprit, par souci de concision. 

À Bruxelles, en d’autres termes, « le surtitrage soutient une production, sans distraire le public de la dramaturgie ». La préparation d’une nouvelle version du livret suppose une compréhension minutieuse de la langue, et donc un certain talent de traducteur. Car il faut non seulement tailler dans le texte – parfois jusqu’à deux tiers chez Monteverdi –, mais il peut aussi s’avérer indispensable de s’éloigner des mots chantés pour faire correspondre les surtitres à ce que le spectateur voit sur scène.


La salle du Théâtre de la Monnaie avec ses deux écrans de surtitrage © Simon Van Rompay

Si le surtitrage traduit les mêmes choix dramaturgiques dans les deux langues, leurs particularités et subtilités peuvent causer certains décalages entre les écrans. C’est le cas de la place du verbe, généralement en début de phrase en français, mais parfois rejeté à la fin en néerlandais. Si le mot d’ordre demeure l’efficacité, l’exercice diffère selon les langues d’origine. Alors que le russe, dont la compréhension est moins répandue au sein du public, permettra des écrans plus condensés, surtout en cas de redites, il convient d’éviter un décalage, pour le français, comme, moins souvent, pour le néerlandais, entre ce qui est lu sur l’écran et entendu dans la salle, et ainsi d’adapter la longueur et le rythme du défilement. « Même dans les textes moins percutants, il est perturbant d’entendre autre chose que ce qui est dit ; le processus d’assimilation mentale est plus long. »

Fidélité et réécriture

Avec sa serpe à texte, Jo Heyvaert se sert de traductions et de découpages existants, lorsqu’ils sont à disposition dans les archives de la maison, et y apporte les modifications nécessaires « pour s’adapter à l’air du temps et à l’évolution de la langue ». Si l’œuvre n’a jamais été donnée à la Monnaie, il s’appuie sur la traduction du livret et sur la partition. Pas de recette miracle, le feeling et l’expérience jouent beaucoup, orientés par les contraintes techniques, telles que le nombre de caractères ou la taille de la police. Il découpe en « unités de sens et de grammaire », afin d’obtenir le plus souvent possible une seule phrase par écran, quitte à insérer un verbe qui synthétise l’idée générale. Le gros œuvre du calibrage a lieu en équipe avec des dramaturges et des traducteurs, soit pendant les filages scène-orchestre, soit à la suite d’une répétition de détail. 

Quand un personnage paraphrase une action visible ou chante un da capo, Jo Heyvaert se passe d’ordinaire de surtitres. Son travail s’apparente à un numéro de funambule : « Si j’opte pour plus de contenu, il y a moins de place pour les nuances ; si je privilégie la facilité de lecture, le propos sera moins précis ». La priorité revient aux « mots simples, qui insufflent du rythme et font ressentir la musicalité du texte ». 


La vue sur la scène depuis la cabine de surtitrage

Pour la création mondiale d’On purge bébé ! de Philippe Boesmans et Richard Brunel, d’après la pièce de Georges Feydeau, les surtitres français reproduisent quasi intégralement le livret, dans le but d’éviter les éventuelles coupures qui perturberaient le public francophone. Le rythme de cette comédie s’avère un défi pour le surtitreur, sans compter la pirouette périlleuse qui consiste à transposer en néerlandais les malices littéraires (allitérations et vocabulaire au cordeau) de l’auteur. Quant aux créations dans d’autres langues, comme l’anglais ou l’allemand, le processus vise à « garder le plus de texte possible pour rendre hommage au librettiste ».

Une cabine au paradis

Au cours de la représentation, Jo Heyvaert active manuellement le passage d’un écran à l’autre en néerlandais, mais aussi en français – dans la version préparée par ses collègues traductrices Brigitte Brisbois et Emilie Syssau -, au moment où le texte commence à être chanté. « Au service de l’œuvre artistique et de l’expérience du public », prenant aussi en compte l’architecture de la salle, il est parfois amené à modifier des surtitres en fonction des chanteurs. « Les choix textuels qui fonctionnent bien avec une première distribution peuvent s’avérer moins réussis avec une deuxième, dont l’interprétation ou le caractère diverge. » En outre, la luminosité de l’affichage est adaptée « à l’éclairage de la scène » par souci de confort de lecture. Ces réglages s’effectuent le plus souvent quelques jours avant la première, car « la plupart du temps, les lumières sont finalisées la dernière semaine de répétitions ».


Gianni Schicchi, dernier volet d’Il trittico de Puccini, dans la mise en scène de Tobias Kratzer à la Monnaie © Matthias Baus

Depuis sa cabine située sous le paradis, Jo Heyvaert ne peut être seul à trancher. Parfois, les metteurs ont des exigences spécifiques quant aux surtitres. Romeo Castellucci a ainsi ajouté une projection de textes directement dans le décor de Die Zauberflöte de Mozart, tandis que Tobias Kratzer a réclamé un autre coloris pour les surtitres d’Il trittico de Puccini.

Les qualités principales d’un surtitreur ? « Savoir suivre une partition et un texte sans y être collé, et surtout garder des nerfs d’acier, prendre des décisions rapidement au moindre contretemps. » La connaissance d’autres langues que le français et l’anglais n’est pas forcément requise, dès lors qu’une partition est bien préparée – certains surtitreurs utilisent des marquages de couleurs différentes pour s’y retrouver, d’autres ont un système basé sur des chiffres. Elle apporte cependant un meilleur confort, notamment si les chanteurs sautent malencontreusement quelques récitatifs ou intervertissent des répliques. La musique reste in fine le guide universel et le point de convergence des yeux, des oreilles et des gosiers.

THIBAULT VICQ

À voir :

On purge bébé ! de Philippe Boesmans, avec Jean-Sébastien Bou (Bastien Follavoine), Jodie Devos (Julie Follavoine), Denzil Delaere/Carlos Natale (Aristide Chouilloux), Sophie Pondjiclis (Clémence Chouilloux), Jérôme Varnier (Horace Truchet), Tibor Ockenfels (Toto), sous la direction de Bassem Akiki, et dans une mise en scène de Richard Brunel, à la Monnaie de Bruxelles, du 13 au 29 décembre 2022.

Pour aller plus loin dans la lecture

Les métiers de l’opéra Laurie Hourriez, chargée de responsabilité sociale et environnementale

Laurie Hourriez, chargée de responsabilité sociale et environnementale

Les métiers de l’opéra Patrice Coué, bottier

Patrice Coué, bottier

Les métiers de l’opéra Lanfranco Li Cauli, directeur marketing et mécénat

Lanfranco Li Cauli, directeur marketing et mécénat