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Découvrir l'opéra

Opéra participatif : immersion dans le chœur des enfants

08/03/2023
© Vincent Pontet

L’expérience est destinée à sensibiliser les plus jeunes à l’art lyrique. Nous l’avons vécue, en janvier dernier, parmi des élèves de primaire, lors d’une représentation d’Une Cenerentola d’après Rossini, au Théâtre des Champs-Élysées. Petits et grands donnent leur avis, avant la reprise du spectacle à l’Opéra National de Bordeaux, puis à l’Opéra de Rouen Normandie.

Ce matin de janvier, Thomas n’a pas eu le droit de se rendre à l’école en tenue de sport. Son papa s’est porté volontaire pour conduire sa classe assister à Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées. Jean-Pierre apprécie le chant lyrique, il fait partie d’un chœur amateur, et tous les deux se sont un peu habillés pour l’occasion, histoire de marquer le coup. « Il y a quelque chose d’exceptionnel dans une sortie à l’opéra, estime notre accompagnateur. On peut y aller en jean, mais pas en jogging. » 

Ce jour-là, cinq classes de CM1 et CM2 de l’école Blomet prennent le chemin de l’avenue Montaigne. Pour l’établissement du XVe arrondissement de Paris, ce n’est pas une première. Depuis plusieurs années, les élèves de cycle 3 participent à ces rendez-vous dont le principe consiste à les transformer en spectateurs actifs. En amont, dès la Toussaint, Claire, leur professeur de musique, les a sensibilisés à l’œuvre que Rossini a composée en italien à partir de Cendrillon, le conte de Perrault. Aidée d’un document pédagogique étoffé fourni par le théâtre, elle a fait le lien avec la version en français qu’ils vont y découvrir. Pendant plusieurs mois, ils ont aussi répété six morceaux, ainsi qu’une intervention en percussions corporelles. 


Vue du public pendant une représentation d’Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées. © Vincent Pontet

Un chef sur deux fronts 

Trois quarts d’heure après son départ, toute la troupe arrive sur place. En entrant dans la salle Art déco, la vision est saisissante et pas seulement pour l’immense verrière en surplomb. « Mon Dieu, s’amuse Jean-Pierre, un poulailler d’enfants ! » Les gosses sont un millier à s’être déplacés. L’excitation est à son comble, le volume sonore aussi ; ça cancane sec. Installés au premier balcon, à droite de la scène, nous jouissons d’une vue plongeante sur la fosse d’orchestre et découvrons le décor haut en couleurs dans lequel l’action va se dérouler. Sol rose Barbapapa, rideaux violets, imposant ascenseur turquoise : une vraie confiserie !

En contrebas, des curieux se sont approchés des musiciens des Frivolités Parisiennes qu’ils regardent accorder leurs instruments. Et puis, soudain, un silence improbable. Baguette à la main, le chef vient de faire son apparition. Il accueille tout ce petit monde avec chaleur, rassure les plus « perchés » – « tous les artistes vont chanter avec une voix d’opéra, vous les entendrez même tout là-haut » – et rappelle les consignes. « Il y a six moments où je me retournerai vers vous ». Pendant une heure quinze sans entracte, Alphonse Cemin bataillera sur deux fronts, dirigeant à la fois ses troupes et la salle.


Alphonse Cemin se retourne vers le public pendant une représentation d’Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées. © Vincent Pontet

Décor candy et bal disco  

Par la volonté de Daniele Menghini, qui a adapté et mis en scène la partition de Rossini, c’est dans un hôtel que Cenerentola, transformée en femme de chambre, devra obéir sans relâche à son beau-père, le vieux baron Don Magnifico, et à ses chipies de filles, Clorinda et Tisbe. Autour d’elle, six autres artistes vont offrir à l’assistance une vraie, et souvent première, approche du chant lyrique. 

Comme l’important est de participer, l’intervention du public ne tarde pas, et la vigueur avec laquelle « Il était une fois un roi… » nous submerge, témoigne d’une impatience. Certains gosses sont au taquet, battent la mesure ; des timides semblent avoir envie, mais n’osent pas trop se lancer. Tout se prête, pourtant, à les mettre à l’aise, à commencer par la fantaisie des costumes et les facéties des Lobby Boys, ces trois grooms chargés d’instiller de la pantomime dans le récit.

À chaque sollicitation, la salle répond présente, même si certains jeunes spectateurs semblent peu concernés ou trouvent manifestement le temps long. L’attention des plus réceptifs baisse un brin quand ils sont moins sollicités. Acmé du livret, le bal les relance grâce à sa pièce montée, ses ballons multicolores, et sa boule à facettes, qui sera largement plébiscitée. Et lorsque Cenerentola et son prince peuvent enfin s’aimer d’amour tendre, les marmots sont à la noce : « Le bisou ! Le bisou ! », s’emballe la rangée au-dessus de nous avant la clôture des festivités. 

Cool, drôle ou trop bruyant  

L’heure est venue de passer les critiques en herbe à la question. Débrief à chaud. Nour a apprécié l’histoire, mais trouvé les personnages trop décalés. Bizarre, ce Don Magnifico qui se promenait en caleçon et palmes aux pieds, ou ces deux sœurs dont les robes s’arrêtaient aux mollets. Sarah K., elle, est ravie. « Le spectacle m’a beaucoup plu ! Les artistes étaient drôles et j’ai beaucoup participé ». Tiphaine qui fait partie d’une chorale, a trouvé « cool de chanter tous ensemble ». Sa jumelle Manon, toute aussi emballée, a aimé « les serviteurs quand ils faisaient les clowns » et les filles valident, de concert, « l’ascenseur sur scène qui monte et qui descend ». 


Nicolas Brooymans (Don Magnifico) entouré de Sara Gouzy (Tisbe) et Laurène Paternò (Clorinda) dans Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées. © Vincent Pontet

Sabine, leur maman, faisait partie de la poignée de parents accompagnateurs. Elle a noté que les garçons autour d’elles tiquaient sur l’esthétique, jugée assez « moche ». Trop girly, Cenerentola ? Pas pour tous. Zacharie a apprécié, « les blagues, les lumières » ; son copain Hugo a été impressionné « d’entendre des voix aussi fortes ». Kevan avait déjà croisé des chanteurs lyriques sur YouTube, « mais, j’étais content de voir ça en vrai ». Si sa sœur Keliah a été séduite par la majesté des lieux – « c’était grand, le plafond était beau » -, elle l’a moins été par le reste : « Ils chantaient trop ! » Quant à Raphaël, il a trouvé qu’il y avait « beaucoup de bruit », et Rose que « ça faisait un peu mal à la tête ».

Certains adultes se sentent, parfois, exclus du monde de l’opéra. Chez les enfants, Claire n’observe pas les mêmes a priori, mais elle constate qu’ils peuvent avoir du mal à le supporter. « Chaque semaine, je leur fais écouter des choses différentes pour les habituer. Dès que je leur propose du vocal ou des musiques extra-européennes, ils rient ou ricanent, dans un réflexe de défense face à ce qu’ils ne connaissent pas. » Ceux qui ont l’occasion d’en entendre un petit peu plus chez eux se montrent, cependant, plus ouverts. D’où l’intérêt d’un dispositif qui a le mérite « de leur faire découvrir le spectacle vivant, une belle salle parisienne, de leur permettre d’assister en direct à la prestation des artistes et de leur faire prendre conscience qu’ils chantent sans micro ». 

Des surtitres indispensables 

Le Théâtre des Champs-Elysées a déjà proposé Une CarmenUn Elixir d’amour et Un Rigoletto en version participative. Du 24 janvier au 5 février, quatorze représentations d’Une Cenerentola y ont eu lieu, dont onze dédiées aux scolaires et trois tout public. Le 19 mars, l’Opéra National de Bordeaux la recevra à son tour, avant l’Opéra de Rouen Normandie, du 1er au 5 avril. Cette production est, pour Claire, la plus adaptée aux enfants. Outre son caractère burlesque, elle présente l’avantage d’une histoire qui leur est relativement familière, et dont la trame n’est pas délicate à aborder avec des primaires. « Avec Rigoletto, on avançait un peu sur des œufs. Je connais des collègues auxquels leur directeur ou l’inspectrice ont interdit d’aller voir le spectacle. » 

Pour elle, 2023 est un bon cru. « C’est la meilleure des sorties que j’ai faites. Par le passé, les retours étaient plus mitigés, les enfants n’avaient pas toujours très bien compris. Il faut dire que c’est aussi la première fois que nous disposions du surtitrage que nous réclamions chaque année. » Thomas confirme son utilité : « Je l’ai beaucoup regardé » ; Sarah F. aussi, d’autant « qu’à la fin, dit-elle, je ne savais plus qui était marié avec qui. » La blondinette regrette « un trop long moment sans chanter », elle aurait souhaité une dimension encore plus participative et « que quelqu’un soit là pour nous entraîner mais, sur le côté de la scène, pour ne pas gâcher le spectacle. » 

Un gros potentiel scolaire 


Anne-Sophie Vincent (Angelina dite Cenerentola), Antoine Foulon (Alidoro) et Benoît-Joseph Meier (Don Ramiro) dans Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées. © Vincent Pontet

De retour à l’école, certains élèves ont publié un compte-rendu de la sortie sur le Padlet de leur classe. « L’idéal, explique Claire, est évidemment de fonctionner en synergie et qu’il y ait un prolongement avec leur professeur. » Jean-Pierre a, d’ailleurs, perçu tout le potentiel scolaire d’Une Cenerentola, qui peut donner matière à travailler l’histoire, le français, etc.  En amateur éclairé, il salue le choix d’une œuvre populaire et un vrai travail de création de la part du théâtre. « Ce n’est pas une réduction de celle de Rossini, mais vraiment une réécriture adaptée aux enfants. » Son décalage, sa dimension comique, son esthétique acidulée sont autant de partis-pris qu’il estime pertinents pour « aller chercher » les plus jeunes.

Les interprètes du prince et de l’héroïne principale lui ont semblé « assez pointus », et il a perçu l’ensemble comme « un excellent avant-goût pour être surpris ou impressionné par la prestation des chanteurs ». En scrutant la salle, notre observateur a, cependant relevé, des niveaux d’implication inégaux qu’il impute, entre autres, à un degré de préparation plus ou moins poussé. Signalons, à cet effet, que les participants peuvent retrouver tous les airs sur le site des théâtres pour les répéter chez eux. Et qu’à Paris, l’institution organise un atelier d’apprentissage gratuit la veille de la première.

Sabine a été conquise par le passage « vraiment bien travaillé » où les enfants ont simulé la tempête en frottant et battant leurs mains. Quant à ses filles, elles n’ont pas cessé de chanter au retour au point que, du haut de ses quatre ans et demi, leur petite sœur connait aussi ses classiques… Thomas gardera certainement un beau souvenir de l’escapade. « J’aurais aimé que ça continue encore », dit-il avec un plaisir manifestement renforcé par la présence à ses côtés de son papa. Ce dernier envisage de prolonger l’initiation en lui faisant écouter d’autres compositions de Rossini, comme les ouvertures de La gazza ladra ou de Guillaume Tell. Cette immersion dans le chœur des gamins restera, pour lui aussi, un moment fort. « Sur mes vieux jours, je pourrai dire que j’ai emmené mon fils de 9 ans voir La Cenerentola au Théâtre des Champs-Elysées. » Quant à la déferlante d’applaudissements dont les marmots ont gratifié les artistes, elle l’a vraiment impressionné. « Cette vague de joie, je n’avais jamais entendu ça ! » Eux non plus, peut-être… 

STÉPHANIE GATIGNOL

À voir :

Une Cenerentola, d’après Gioacchino Rossini, avec Juliette Mey / Anne-Sophie Vincent (Cendrillon), Benoît-Joseph Meier (Don Ramiro), Sergio Villegas-Galvain (Dandini), Nicolas Brooymans (Don Magnifico), Laurène Paternò (Clorinda), Sara Gouzy (Tisbe) et Antoine Foulon (Alidoro), sous la direction de Joanna Natalia Ślusarczyk (Bordeaux) et Alphonse Cemin (Rouen), et dans une mise en scène de Daniele Menghini, à l’Opéra National de Bordeaux, le 19 mars 2023, et à l’Opéra de Rouen Normandie, du 1er au 5 avril.

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