Découvrir l'opéra Quelle voix vous fait le plus vibrer ?
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Quelle voix vous fait le plus vibrer ?

13/01/2023
© Guergana Damianova / OnP

Cinq personnalités du monde lyrique répondent à la même question. Le dossier du troisième numéro de Lyrik étant consacré à la fascination qu’exerce la voix sur les spectateurs, nous voulions (re)cueillir, ici, les émotions des principaux intéressés.

Vannina Santoni (soprano, France) :

« La chanteuse Barbara a le pouvoir de me clouer sur place. Bien sûr, ses textes sont puissants, mais elle porte aussi, dans sa voix et ses interprétations, son histoire, le récit de sa vie. Au-delà de son timbre – qu’elle n’appréciait pas vraiment –, il émane de sa voix un mélange palpable de force et de blessures, qui me remue énormément. Elle incarne ses chansons sans fioriture, sans artifice. Cette artiste nous offre un des moyens de transmission les plus sensibles. Avec la voix, on peut simplement dire mais aussi bercer, crier, charmer, se révolter… Au cours de la dernière décennie de sa carrière, Barbara a chanté avec une voix abîmée par la cortisone. En tant que chanteuse, je ne peux qu’être touchée par une telle situation. Mais lorsque le souffle et le son viennent à manquer, sa palette d’expressions est infinie. Nous avons une mémoire des voix. Peut-être que celle de Barbara ne cessera jamais d’être un murmure à mon oreille et un baume pour mon cœur car elle était la chanteuse de variété préférée de ma mère. »


Vannina Santoni. © Jérémy Torres

Vittorio Prato (baryton, Italie) :

« Je me souviens d’avoir eu un choc lorsque j’ai vu L’Arlesiana de Francesco Cilea, avec la grande mezzo-soprano russe Elena Obraztsova : je me suis senti complètement happé par sa voix.
Une autre voix qui me fait frissonner est celle de Tito Schipa, le grand ténor, originaire de Lecce, au sud de l’Italie. Il avait aussi – pour reprendre les mots de Toscanini à l’égard de Caruso – « la lacrima nella voce » (i.e. la larme dans la voix). Schipa était d’ailleurs un des chanteurs favoris de Pavarotti. Sa capacité à filer les sons, ses piani éthérés, l’utilisation habile de l’accent dans le mot et la puissance expressive de sa voix sont autant de qualités qui m’amènent à dire qu’il était le roi des ténors du siècle dernier. »


Vittorio Prato © Mathilde Fasso

Vittorio Prato © Mathilde Fasso

Marion Lebègue (mezzo-soprano, France) :

« Sans vouloir prêcher pour ma paroisse, la voix de mezzo-soprano – et son répertoire – est bien celle qui me fait le plus vibrer. Elle offre une palette infinie de tons chauds, teintés d’ambre et d’or. Pour moi, c’est la tessiture qui permet d’explorer tout l’ambitus, de créer des pleins et déliés, des nuances claires obscures. La rondeur de la voix de mezzo apporte toujours un vécu et une émotion particulière à un personnage. Que ce soit avec une bonne copine rassurante ou un fantôme effrayant, un page insolent ou une femme libre, la voix de mezzo offrira la terre et le feu en réponse à l’eau et l’air de la voix de soprano. Dans le répertoire de concert, Mahler et Ravel, pour ne citer qu’eux, ont offert des pages incroyables valorisant toute la sensualité et l’âme de cette tessiture. Je pourrais écouter éternellement Christa Ludwig. Sa version des Wesendonck-Lieder de Wagner m’arrache les larmes tant l’émotion que sa voix génère en moi est grande. Cette artiste, c’est l’émotion pure ! Rien de plus que l’âme qui parle à l’âme. »


Marion Lebègue. © SDP

Julien Behr (ténor, France) :

« Les voix qui me séduisent profondément ne sont pas celles qui font seulement montre d’une performance technique, mais celles qui réussissent à véhiculer l’émotion et, de surcroît, l’honnêteté de l’âme qui traverse les salles… C’est finalement assez rare. Il en retourne à la fois de l’interprète lui-même et du personnage qu’il incarne sur scène. Bryn Terfel a une espèce d’insolence dans l’émission vocale, de la simplicité et une âme belle et authentique qui transpire dans son chant. De surcroît, sa voix est sublime et sa technique, infaillible. Quand je l’écoute, j’arrive à me connecter avec la musique et avec le texte. Chez lui, il n’est pas question de favoriser le son ou le verbe, son chant constitue un tout parfaitement équilibré. Son incarnation de Wolfram dans Tannhäuser de Richard Wagner est particulièrement saisissante. Jacques Brel est, quant à lui, l’exemple type de l’interprète dont le timbre de voix n’est pas spécialement séduisant, mais qui transmet malgré cela des émotions très riches. Il est tellement centré sur celles-ci et sur ce qu’il raconte en chantant que cela devient puissant, particulièrement dans La Chanson des vieux amants qui me touche au cœur à chaque écoute ! »


Julien Behr © Rudy Waks

Julien Behr © Rudy Waks

Joan Matabosch (directeur artistique du Teatro Real de Madrid, Espagne) :

« Toutes les voix peuvent m’émouvoir. L’émotion dépend moins de la voix que de son usage de la part de l’interprète. Il y a des voix qui, en elles-mêmes, n’ont rien de particulier, mais qui deviennent fascinantes quand l’artiste exploite tout son potentiel expressif. Une fois que le chanteur maîtrise la projection, la respiration et la technique du chant, il est important pour lui de trouver comment se révéler en tant qu’artiste authentique. Il ne s’agit plus de savoir seulement chanter, mais de comprendre le plus intimement possible pourquoi on veut le faire. Il s’agit d’oublier la technique, déjà acquise, et de transformer le chant en un déploiement d’expression et d’émotions. La voix qui parvient à émouvoir, c’est celle-là. On est ému en écoutant une voix, mais les émotions transmises proviennent de la personnalité de l’artiste, de son expérience, de sa capacité à exprimer la situation dramatique qu’il interprète à partir de ses propres émotions. On perçoit l’émotion dans le son d’une voix, mais cette émotion est créée par une identification expressive entre l’interprète et le public. »


Joan Matabausch © Javier del Real

Joan Matabausch © Javier del Real

Propos recueillis par EDOUARD BRANE, MAXIME PIERRE et THIBAULT VICQ

Un article paru dans LYRIK n°3

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