Opéras Alcina décevante à Londres
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Alcina décevante à Londres

04/01/2023
© Marc Brenner

Royal Opera House, Covent Garden, 22 novembre

Public conquis quasiment d’emblée, et applaudissant, avec une égale ferveur, tous les airs, les uns après les autres ; artistes partageant régulièrement, sur les réseaux sociaux, leur bonheur de faire partie de la production… Serions-nous passé à côté des plaisirs censément prodigués par la nouvelle Alcina du Covent Garden ?

Richard Jones oppose, fort justement, les quatre vertus portées en étendard par une communauté de pseudo-Amish – « Mercy, Love, Duty, Courtesy » (« Pitié, Amour, Devoir, Courtoisie ») –  à la voluptueuse licence incarnée par l’enchanteresse. Outre les effets d’une plastique avantageuse, son pouvoir magique est contenu dans l’imposant flacon de la glamoureuse fragrance qui porte son nom, et lui permet, par simple vaporisation, d’attirer et de retenir ses proies ou, au besoin, de les métamorphoser en animaux divers.

À rebours du livret, mais pas de l’enjouement du chœur final – canon du « dramma per musica » du XVIIIe siècle –, le camp d’Alcina triomphe, avec la substitution de la devise de ses opposants puritains, « The Only Path » (« La Seule Voie »), par un slogan nettement moins métaphorique : « The Joy of Sex » (« La Joie du sexe »). Ultime pirouette, bien dans l’esprit d’un spectacle où le rythme prend le pas sur la dramaturgie, avec une fâcheuse tendance à aller arracher des rires – avec une efficacité dont témoignent les réactions de la salle – quand la situation l’exige le moins.

Dans une esthétique assez comparable, entre cabaret et bande dessinée, la mise en scène de Francesco Micheli, au Festival de Glyndebourne 2022, donnait aux personnages une tout autre épaisseur, en symbiose avec une interprétation musicale alliant cohérence et vivacité.

Car c’est là, aussi, que le bât blesse, au Royal Opera House. Et la responsabilité en incombe, au premier chef, à Christian Curnyn. Sans fantaisie, ni expression, sa direction sous tranquillisants s’enlise dans une pulsation médiane, dont seuls « Ma quando tornerai » et « Sta nell’Ircana » viennent troubler la régularité. Souvent terne et plat, l’orchestre maison n’en peut mais, face à une partition qui, si elle appartient bel et bien au patrimoine du théâtre où elle fut créée, le 16 avril 1735, ne s’inscrit assurément plus dans sa tradition.

La plateau vocal ne se débat pas moins dans une sorte de no man’s land stylistique. À commencer par Emily D’Angelo, qui a tout – timbre, ambitus, agilité – pour devenir un Ruggiero d’exception, mais n’en finit plus de se chercher, sans pourtant être en phase avec les atermoiements du paladin. Bien plus pertinente en Alcina qu’en Theodora (en concert, puis au disque), Lisette Oropesa fait valoir les séductions d’un belcantisme sans doute plus adapté à Rossini et Donizetti qu’à Haendel.

Son soprano paraît d’abord trop gracile, dans un rôle marqué par des instruments plus charnus, mais gagne peu à peu en consistance, pour dessiner un portrait convaincant, à défaut d’être bouleversant – il faudrait, pour cela, que la fosse n’alourdisse pas à ce point « Ah ! mio cor ».

Connue, et appréciée, aux côtés de Cecilia Bartoli, à l’Opernhaus de Zurich, puis au Théâtre des Champs-Élysées, la Bradamante de Varduhi Abrahamyan semble porter les traces de la fréquentation – prématurée ? – d’emplois plus lourds dans un répertoire plus tardif, sur un vibrato qui nécessite, depuis toujours, d’être tenu sous surveillance.

Le ramage, chez Mary Bevan, ne se rapporte guère au plumage, Morgana aux prises avec une tessiture trop haute, surtout au diapason moderne, et dès lors privée de charme, comme de rebond, dans les acrobaties de « Tornami a vagheggiar », mais pas plus attachante dans « Credete al mio dolore ».

Si José Coca Loza n’est pas le premier à engorger Melisso de la sorte, Rupert Charlesworth est conforme à son Oronte parisien (Palais Garnier, 2021), dont la ligne, très artistement portée par un souffle infini, compensait une couleur assez ingrate.

Le jeune Malakai M Bayoh, enfin, est devenu, bien malgré lui, l’objet d’un scandale peu reluisant : le soir de la première, un individu s’est mis à le huer violemment, avant d’être expulsé de la salle – puis à vie du Royal Opera House. Sans mériter pareil déchaînement de haine – manifestement raciale –, il faut bien admettre que le bambin massacre les airs d’Oberto, judicieusement délestés de leur partie B et de leur da capo, avec une touchante ingénuité, et sous les acclamations d’un public légitimement acquis à sa cause.

MEHDI MAHDAVI


© Marc Brenner

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