Opéras Boccanegra peu marquant à Berlin
Opéras

Boccanegra peu marquant à Berlin

03/03/2023
© Bettina Stöss

Deutsche Oper, 9 février

Cette nouvelle production de Simon Boccanegra, au Deutsche Oper de Berlin, résolument ancrée dans l’époque actuelle, peut sembler assez banale, notamment ce dispositif tournant que l’on a l’impression d’avoir déjà vu mille fois : d’un côté, un intérieur bourgeois sur deux étages ; de l’autre, un vaste espace de réception. Vasily Barkhatov s’attache essentiellement à montrer l’évolution du personnage principal, du jeune héros de guerre, encore pur et inexpérimenté, du Prologue, jusqu’au dirigeant en place, vingt-cinq ans plus tard, parfaitement à l’aise dans son nouveau milieu.

Pour le metteur en scène russe, le message de Simon Boccanegra est qu’un homme politique doit savoir sacrifier ses projets personnels sur l’autel du pouvoir. Malheureusement, l’ancrage contemporain du spectacle conduit à penser que tout élément de son existence est utilisé à des fins de communication, avec la présence continuelle de cameramen et de photographes. Autant dire que la dimension intime de l’intrigue disparaît, alors qu’il nous semble, au contraire, qu’une des forces de Verdi est, précisément, d’illustrer les imbrications et contradictions entre sphères publique et privée.

Par ailleurs, révéler, au lever de rideau du I, en lieu et place du palais des Grimaldi, ouvrant sur la mer, la petite chambre d’un collège, ne permet pas au spectateur de prendre la mesure de la grandeur du propos. Surtout quand Maria/Amelia apparaît étendue sur le lit, vêtue d’un pyjama rose fuchsia peu seyant. Lourde, encore, la revue de presse imposée par deux fois entre les actes, qui consiste à projeter, sur un écran, les unes de journaux italiens dédiées à la disparition de la fille du Doge, en parallèle à la lecture de ces gros titres par une voix féminine tonitruante.

On est davantage intéressé par la façon qu’a Vasily Barkhatov de mettre en exergue les invraisemblances du livret, en montrant que le héros reconstruit certains événements pour faire coïncider la réalité avec ses rêves, en particulier quand il pense retrouver sa fille disparue : une signalétique lumineuse nous indique alors les séquences qui sont de l’ordre du fantasme, dans un processus narratif à deux niveaux. Ce sont là les moments les plus stimulants d’un spectacle, par ailleurs, assez peu marquant, qui peut, heureusement, s’appuyer sur une solide réalisation musicale.

Après La forza del destino, à l’Opéra Bastille, en décembre dernier (voir O. M. n° 189 p. 67 de février 2023), le chef italien Jader Bignamini confirme son métier et sa grande sûreté. Certes, on pourrait peut-être rêver parfois plus de poésie, ou davantage d’urgence et de tension dramatique. Mais voici un maestro qui sait mener à bon port les vastes forces orchestrales et chorales du Deutsche Oper, en se montrant attentif à soutenir les chanteurs sans les couvrir.

La distribution offre de très bonnes voix, à commencer par le Roumain George Petean, qui assume le rôle-titre avec tout ce qu’on attend d’un baryton Verdi : mordant de l’émission, largeur de l’ambitus, éclat de l’aigu, autorité de l’accent, pour un Doge d’une grande efficacité, à défaut d’être très personnel dans sa caractérisation. Mais il est évidemment difficile, dans ce contexte dramaturgique, d’exalter l’humanité du personnage…

Le Chinois Liang Li lui offre une réponse de poids, en Jacopo Fiesco, par sa belle basse sombre et puissante, qui fait sensation dans « Il lacerato spirito ». Troisième voix grave, le Géorgien Michael Bachtadze, incisif Paolo Albiani, parvient à exister entre les deux, ce qui dit assez sa valeur.

Le couple amoureux est plus disparate. Le ténor allemand Attilio Glaser manque un peu de subtilité, en Gabriele Adorno, mais la puissance de son instrument, à l’aigu particulièrement percutant, et l’intensité de son jeu finissent par convaincre. On sera moins enthousiaste envers Maria Motolygina.

Boursière en cycle de perfectionnement au Deutsche Oper – ce qui consiste en plusieurs engagements sur la saison –, la soprano russe montre des moyens importants, mais disproportionnés pour le rôle de Maria/Amelia, dont elle peine à traduire la jeunesse et la délicatesse. De surcroît, l’émission est irrégulière, l’aigu, assez dur, n’est pas toujours très juste, sans parler de l’absence de trille.

THIERRY GUYENNE


© Bettina Stöss

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