Opéras Mitridate attendu à Berlin
Opéras

Mitridate attendu à Berlin

03/01/2023
© Bernd Uhlig

Staatsoper Unter den Linden, 7 décembre

L’esthétique, certes, diffère, dominée par l’or des costumes, aussi somptueux que spectaculaires, signés Kayo Takahashi Deschene, qui s’étend au décor de Junpei Kiz, paraît-il inspiré du palais du Potala, à Lhassa, au Tibet – les sombres visions de désolation censément post-bombardement, sur lesquelles débute et s’achève l’opéra, mises à part.

Mais les principes de la dramaturgie – basée sur la référence historique à l’expansionnisme du Japon, au début du XXe siècle, et à son opposition aux puissances occidentales, et aux États-Unis, en particulier – et de la mise en scène – refusant la troisième dimension et le mouvement à des personnages de haut rang figés sur divers fonds, au demeurant fort agréables à l’œil, tirés d’estampes ou de paravents – sont peu ou prou identiques à ceux du soporifique Idomeneo monté par Satoshi Miyagi, au dernier Festival d’Aix-en-Provence, que cette production aurait d’ailleurs dû précéder, si sa création, prévue en novembre 2020, n’avait pas été victime du Covid…

Cette annulation aura cependant permis de réunir la distribution initiale, à quelques ajustements près, dont le rôle-titre, à la Philharmonie de Paris, pour un enregistrement paru chez Erato – et accueilli avec enthousiasme par Richard Martet (voir O. M. n° 178 p. 89 de décembre-janvier 2021-2022). À Berlin, seuls deux chanteurs du disque reprennent du service. Arbate assurément peu orthodoxe, mais d’une singulière opulence, Adriana Bignagni Lesca devrait s’épanouir à l’avenir dans d’autres répertoires. Et si la couleur du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian nous subjugue toujours autant par une profondeur assez inouïe, son Farnace avait, face au micro, davantage de consistance et de variété dans l’expression.

Remplacé par Michael Spyres en studio, Pene Pati se mesure enfin à Mitridate. Une fois admis que ce genre de comparaison est sujet à caution, il faut bien avouer que l’on n’avait plus entendu une voix de ténor aussi solaire depuis Luciano Pavarotti. D’autant que cette émission d’une exceptionnelle homogénéité – du grave, toujours moelleux, au suraigu, inépuisable, que cette vocalité en montagnes russes, unique en son genre, sollicite sans ménagement – ne trahit pas le moindre effort, encore magnifiée par une diction italienne d’une fluidité, en principe, réservée aux natifs. Grâce à des vertus, en somme, opposées à celles du « baryténor » américain, le prodige samoan se hisse assurément au même niveau, voire un peu plus haut.

Dans l’air bref, mais redoutable de Marzio, Sahy Ratia ne peut que pâtir d’une telle proximité, qui accroît les crispations du timbre et d’une vocalisation néanmoins calibrée, tandis que l’Ismene affirmée de Sarah Aristidou cumule, face à l’inévitable souvenir de Sabine Devieilhe, les désavantages d’une ligne anguleuse et d’un registre supérieur acéré.

Malgré la lumineuse clarté de l’instrument, Angela Brower est bel et bien mezzo, ce qui, dans l’emploi de castrat soprano de Sifare, la confronte parfois aux limites de sa tessiture, de même qu’une agilité trop lente au démarrage. Elle n’en parvient pas moins, par l’admirable concentration des moyens, à suspendre le temps dans « Lungi da te, mio bene ».

La perfection technique d’Ana Maria Labin a pu, notamment chez Haendel, s’accompagner d’une certaine froideur. Mais les coloratures insensées de son premier air (« Al destin, che la minaccia ») font d’emblée monter la température, avec, d’un extrême à l’autre de l’ambitus, une rondeur corsée qui élève Aspasia au statut d’héroïne tragique – pour ne plus l’en faire redescendre.

Triomphe, enfin, pour l’ensemble Les Musiciens du Louvre, au volume sonore trois à quatre fois supérieur à celui de l’Akademie für Alte Musik Berlin, la veille, dans Giustino. Par contraste avec des récitatifs laissés à la seule responsabilité de la basse continue, pour un résultat souvent flou, l’orchestre paraît avoir encore davantage de corps et de nerf, sous la direction fiévreuse d’un Marc Minkowski libérant l’instinct théâtral du jeune Mozart du carcan virtuose de l’« opera seria », sans craindre ni l’excès, ni le fracas.

MEHDI MAHDAVI


© Bernd Uhlig

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