Opéras Noces malchanceuses à Lyon
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Noces malchanceuses à Lyon

07/04/2023
© Jean-Louis Fernandez

Opéra, 1er avril

Intitulé « Franchir les portes », cette année, le festival traditionnellement organisé par l’Opéra de Lyon, au début du printemps, a bien failli aller droit dans le mur, le mouvement social à l’intérieur de la maison ayant entraîné l’annulation des représentations du 17 au 19 mars – week-end d’ouverture de la manifestation –, puis du 24 au 26 mars.

Une des trois productions, Bluthaus, est carrément passée à la trappe, le rideau ne se levant, pour chacune des deux autres (Le nozze di Figaro et Le Château de Barbe-Bleue), que trois fois sur les huit prévues. En ce premier week-end d’avril, l’ambiance restait tendue avec, en chaque occasion, un bref discours de Richard Brunel, directeur général et artistique, exposant la situation.

Cette nouvelle mise en scène des Nozze a joué de malchance. Prévue en juin 2020, pour les débuts à l’opéra d’Olivier Assayas, puis reportée au printemps 2023, elle a finalement été confiée, suite à la défection du cinéaste, en décembre dernier, à Eugen Jebeleanu, qui a accepté de « se couler » dans les décors conçus pour son prédécesseur.

Dans son ambitieuse note d’intention, le réalisateur roumain explique « requestionner », à travers le personnage de Cherubino, « les représentations du masculin et du féminin », mais aussi « s’intéresser aux ressorts de la révolution sexuelle contemporaine », où chacun n’est « plus assigné à une étiquette, à un code, à une norme supposée », ainsi qu’aux « préoccupations essentielles liées à l’état de notre planète ».

Vaste programme, dont on avoue n’avoir pas perçu grand-chose, avec un traitement de Cherubino très convenu et quelques détails anecdotiques : un baiser échangé entre le Comte et Figaro, une Marcellina en pantalon, à côté d’un Bartolo en jupe, lequel esquisse, au finale du III, un pas de deux avec Basilio… Pas de quoi crier au scandale ! Quant à la dimension écologique, le choix de situer le IV dans un terrain vague, encombré par une cabine téléphonique, un camping-car vétuste et un matelas défraîchi, est-il censé, faute de jardin, à nous inviter à réfléchir au devenir de la planète ?

Ce dernier acte, d’une laideur devenue ordinaire dans les mises en scène d’opéra contemporaines, jure surtout avec la musique, même si on ne saurait nier qu’Eugen Jebeleanu rend, par ailleurs, bien compte des péripéties du livret et de son impeccable timing, grâce à une direction d’acteurs efficace. Inutiles, en revanche, les vidéos en gros plans, à partir du III, supposées serrer au plus près les déchirements de Figaro, de la Comtesse et du Comte. Et totalement déplacée, l’intrusion des pancartes « NON AU PASSAGE EN FORCE », au moment où les chœurs célèbrent l’abolition du droit de cuissage, qui porte atteinte à l’intégrité du travail du metteur en scène, sans parler du tag rageur « EN GRÈVE » sur la cabine téléphonique.

Malheureusement, la réalisation musicale ne parvient pas tout à fait à élever le débat. La lecture du chef français Alexandre Bloch paraît peu imaginative, dès une Ouverture vive, mais filant tout droit. L’énergie ne fait pas tout et l’on attendrait plus de mobilité dans le discours, davantage de poésie, de feu, d’humour et d’ironie. Une direction bien sage, en total contraste avec le pianoforte déchaîné de Graham Lilly, qui semble constamment improviser. C’est chez lui qu’on cherchera l’esprit de la « folle journée » !

Le plateau, assez disparate, est fatalement contaminé par la laideur visuelle ambiante. Timbre brillant et émission mordante, le baryton américain John Chest parvient, néanmoins, à dessiner un Comte prédateur à souhait. Il aborde son air – chanté en reniflant une basket, arrachée à Susanna ! – avec une vocalisation superbe et un fa dièse aigu fulgurant.

L’attachante Comtesse de Mandy Fredrich inquiète à son entrée, avec un « Porgi, amor » instable et embarrassé. Par chance, la soprano allemande impose, ensuite, une technique solide (jolie reprise piano de « Dove sono »), avant de trouver toute sa dimension dans le pardon final. Piquante Susanna de la soprano kosovare Elbenita Kajtazi, et Figaro hâbleur de l’excellent baryton-basse canadien Gordon Bintner, qui porte le perfecto avec une désinvolture classieuse.

Bartolo entre sur scène en petite tenue, la taille ceinte d’une simple serviette, ce qui n’empêche pas le Polonais Piotr Micinski de faire sensation par sa basse tonnante et volubile. Grande habituée de Marcellina, Sophie Pondjiclis utilise au mieux un instrument induré et irrégulier, pour brosser le portrait désopilant d’une vieille fille travaillée par ses sens. Si l’on se doute que la mezzo française n’aurait pu assumer le périlleux « Il capro e la capretta », on regrette que le ténor italien Francesco Pittari, Basilio particulièrement percutant, ait été privé de son « In quegli anni ».

Les quatre solistes du Lyon Opéra Studio, enfin, offrent des bonheurs divers. La mezzo sud-africaine Thandiswa Mpongwana est un Cherubino craquant physiquement, au timbre ravissant, mais dont l’aigu manque encore de souplesse et d’homogénéité. La Barbarina délurée de la soprano allemande Giulia Scopelliti déçoit dans son air, avec un chant prosaïque, un vibrato excessif et des problèmes de justesse. L’Antonio de l’excellent baryton-basse thaïlandais Pete Thanapat est, en revanche, impressionnant de présence, et le ténor britannique Robert Lewis impose un sonore Don Curzio.

THIERRY GUYENNE


© Jean-Louis Fernandez

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