Jodie Devos : Bijoux perdus

1 CD Alpha Classics ALPHA 877

Plus que leur virtuosité, l’arme fatale des sopranos légères, dites « coloratures », est leur pouvoir de séduction. Le cristal et la lumière du timbre, sa jeunesse, sa fraîcheur : bien malin qui y résistera.

Ces qualités sont celles de Jodie Devos qui, en moins de dix ans, est devenue l’une des vedettes incontournables de ce registre, souvent considéré comme une spécialité bien française. Jodie, elle, est belge, francophone, et ses deux premiers récitals chez Alpha Classics (l’un consacré à Offenbach, l’autre à des mélodies anglaises) ont montré qu’elle avait aisément apprivoisé les contraintes du disque, bien différentes de celles de la scène dans leur rapport avec l’auditeur.

Bonne diseuse, fine comédienne, la jeune cantatrice est aussi une musicienne experte, dont on apprécie la ligne de chant particulièrement soignée, la virtuosité toujours expressive, le sens des nuances et l’intelligence des textes. On distingue aussi, chez elle, un vrai bonheur de chanter, que partage celui qui l’écoute.

Pour son troisième album, gravé en studio, en février 2021 (et non 2022, comme indiqué dans le livret d’accompagnement), on ne peut que la féliciter d’avoir souhaité rendre hommage à sa compatriote Marie Cabel (1827-1885). Si, après un premier passage à ­l’Opéra-Comique, celle-ci se fait d’abord remarquer au Théâtre-Lyrique, en créant Le Bijou perdu d’Adam, en 1853, puis La Promise de Clapisson et Le Muletier de Tolède (Adam encore), en 1854, et Jaguarita ­l’Indienne d’Halévy, en 1855, c’est bien dans la deuxième Salle Favart qu’elle connaît ensuite la gloire.

Dès 1856, Marie Cabel y crée le rôle-titre de Manon Lescaut d’Auber, puis, en 1859, Dinorah dans Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer, avant d’être l’étincelante Philine, lors de la première de Mignon d’Ambroise Thomas, le 17 novembre 1866, l’un des plus grands succès de la maison. En 1868, elle y participera à sa dernière création, Le Premier Jour de bonheur d’Auber.

Délicieux mais fragile, ce répertoire exige, outre des talents musicaux, de l’esprit, de la fantaisie, de la tendresse, un soupçon de mélancolie parfois, et une belle franchise d’accents ; tricher avec lui, c’est le détruire. Jodie Devos l’a bien compris.

La « Polonaise » de Philine est prestement enlevée, et l’« Ombre légère » si chère à Dinorah est celle d’une virtuose laissant la part belle à l’émotion. Ce sont là les pages les plus connues de ce florilège. Pour le reste, le Palazzetto Bru Zane et son directeur artistique, Alexandre Dratwicki, partenaires de cet enregistrement et spécialistes de ce XIXe siècle trop vite oublié, ont aidé Jodie Devos à redécouvrir quelques perles du genre, soit créées par Marie Cabel, soit reprises par elle.

Ainsi de l’air « de la lyre » dans Galathée de Victor Massé (1852), riche en vocalises et notes piquées, des deux extraits du Songe d’une nuit d’été de Thomas (1850), dont la délicatesse est mise en valeur par une ligne vocale déployée avec une sentimentalité excluant toute mièvrerie, et même du grand air de Manon Lescaut (« Plus de rêve qui m’enivre »), moins fréquenté que le fameux « Éclat de rire », mais bien plus évocateur de la psychologie de l’héroïne.

Si la Jaguarita d’Halévy évoque davantage Tiger Lily dans Peter Pan qu’un personnage de John Ford, elle n’en est pas moins amusante dans ses improbables velléités guerrières. Les vrais joyaux de ces Bijoux perdus (selon le titre de l’anthologie) viennent, pour moi, de La Part du diable d’Auber (1843), de L’Étoile du Nord de Meyerbeer (1854), et aussi de ce Bijou perdu d’Adam – la chanteuse y déploie des trésors de sensibilité.

L’excellent Vlaams Radiokoor intervient peu, mais efficacement. Le non moins excellent Brussels Philharmonic est un partenaire de haut vol, sous la direction vivante et pertinente de Pierre Bleuse.

Une réussite, et l’une des joies discographiques de la rentrée.

MICHEL PAROUTY

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