Opéras Parsifal dépouillé à Genève
Opéras

Parsifal dépouillé à Genève

08/02/2023
© Carole Parodi

Grand Théâtre, 31 janvier

À l’instar de beaucoup de productions de Parsifal, celle que vient de proposer le Grand Théâtre de Genève, en collaboration avec le Deutsche Oper am Rhein, est visuellement inégale, comme si les metteurs en scène avaient du mal à maintenir un niveau d’inspiration constant, d’un bout à l’autre de l’immense « festival scénique sacré » wagnérien. Elle a, cependant, un premier mérite : tenir la promesse des propos de Michael Thalheimer recueillis dans le programme de salle, revendiquant un parti de « simplicité » dans la narration.

Le rideau s’ouvre pendant le Prélude. Le plateau est vide, à l’exception d’une dalle grise et de deux monolithes parallélépipédiques de la même couleur, pouvant évoquer une tombe, dont la surface imite le béton – la référence à l’architecture brutaliste est soulignée par la reproduction, dans le programme, de bâtiments dessinés par Louis Kahn (1901-1974) et Peter Zumthor (né en 1943).

Entre les deux blocs, une mince ouverture dans laquelle un homme (Parsifal) se tient debout, en caleçon et tee-shirt blanc, l’air complètement perdu. Monté sur une tournette, le dispositif se met à pivoter sur lui-même pendant quelques minutes, dans un mouvement décrivant très bien l’errance du héros depuis sa jeunesse.

La dalle et les monolithes, qui se déploient pour former les murs d’une salle pendant la « Transformation », constituent l’unique décor du I. Point de château, de cygne, d’arc, de châsse, de coupe (le Graal est un simple rayon de lumière descendant des cintres), Michael Thalheimer ayant choisi de développer, avec beaucoup d’intelligence et de sens de l’effet, un élément très présent dans le livret : le sang.

Amfortas n’est plus le seul à porter un costume éclaboussé de rouge ; Gurnemanz (appuyé sur des béquilles, pour expliciter le déclin de la communauté) et les Chevaliers sont habillés de même, dans des espèces de guenilles couleur grège. Point culminant de ce premier acte, très réussi sur le plan visuel : l’entrée des Chevaliers, traçant sur les murs de longues traînées et des croix de sang, dans une illustration littérale du texte (« Pour le Rédempteur, d’un cœur joyeux, je veux verser mon sang »).

Au II, on retrouve des monolithes – mais noirs, cette fois, symboles du Mal incarné par Klingsor. Point de jardin, mais des Filles-Fleurs difformes, vêtues de robes imprimées ; Kundry, en pyjama rouge, blesse Parsifal avec le revolver qu’elle ne cesse de brandir, puis, se faisant l’instrument du héros, tire sur Klingsor. Cet acte est le plus faible sur le plan dramatique, la direction d’acteurs, très conventionnelle, n’évitant pas l’ennui.

Le III revient sur les sommets, avec les deux monolithes collés l’un à l’autre, en fond de scène, et tachés de sang. Kundry y trace en majuscules, avec une éponge plongée dans un seau de peinture rouge, l’une des phrases clés du livret : « Durch Mitleid wissend, der reine Tor » (« La pitié instruit le pur, l’innocent »). Puis elle efface tout, recommence, et finalement écrit, en toute logique, le mot « Parsifal ».

Loin de parasiter l’œil du spectateur, cette idée de mise en scène a le mérite de contourner le statisme de la première partie de l’acte et de poursuivre la déclinaison du thème du sang. Un sang que l’on retrouve sur la bouche de Parsifal, à son retour, appuyé sur la lance dérobée à Klingsor, le visage maquillé de blanc, évoquant autant un clown qu’un cannibale.

Ne reste plus qu’à boucler la boucle : l’opéra se termine sur la vision du héros, seul au milieu du plateau, l’air aussi perdu que pendant le Prélude, comme désemparé par la mission dont il a été investi.

Le grand mérite de la lecture de Jonathan Nott est de coller au plus près de la mise en scène, jusque dans ses pannes. Le II manque ainsi cruellement de tension dramatique, le parti pris adopté par le directeur musical et artistique de l’Orchestre de la Suisse Romande restant globalement contemplatif.

Le son de sa phalange est absolument somptueux, comme celui du Chœur du Grand Théâtre de Genève, préparé par Alan Woodbridge, mais l’urgence et la flamme font plus d’une fois défaut, y compris dans un Prélude trop évanescent. En revanche, quelle beauté dans l’« Enchantement du Vendredi saint » et quelle inspiration dans les vingt dernières minutes !

La distribution est dominée par le formidable Gurnemanz de Tareq Nazmi, en prise de rôle. À 40 ans, la basse allemande se hisse au niveau des meilleurs spécialistes de ce répertoire (René Pape, Franz-Josef Selig, Georg Zeppenfeld…), avec une splendeur de timbre, une autorité dans l’émission et une émotion dans l’accent qui ravissent de bout en bout.

Mezzo-soprano à la voix riche, sombre, mais dotée d’un aigu facile, Tanja Ariane Baumgartner reste curieusement en retrait, en Kundry, face au Parsifal sans problème de Daniel Johansson, auquel fait seulement défaut le charisme des très grands.

Avec un instrument accusant quelques signes de fatigue, Christopher Maltman est un très digne Amfortas, et Martin Gantner, pourtant annoncé souffrant, un Klingsor efficace. Membre du Jeune Ensemble du Grand Théâtre, William Meinert, enfin, fait bonne impression en Titurel.

RICHARD MARTET


© Carole Parodi

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