Opéras Poème de l’amour désenchanté à Dijon
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Poème de l’amour désenchanté à Dijon

05/05/2023
© Mirco Magliocca

Auditorium, 25 avril

En présentant sa mise en scène d’Armide (Paris, 1686), Dominique Pitoiset est très clair : il dit son admiration pour le texte de Quinault, mais avoue n’avoir « jamais été convaincu » par la présence de la danse dans ces œuvres lyriques. Il juge, par ailleurs, la musique de Lully « quelquefois bavarde » (voir O. M. n° 191 pp. 18-19 d’avril 2023), en laissant donc toute la responsabilité à Vincent Dumestre et à ses interprètes !

Pourquoi Armide, alors –coproduction entre l’Opéra de Dijon et Château de Versailles Spectacles –, « ouvrage fascinant, mais aussi détestable » (sic !), pour ces différentes raisons ? Parce que c’est « avant tout, une pure tragédie d’un amour impossible ». Ce qui est certes recevable. De tels propos peuvent pourtant inquiéter, autant que le paradoxe assumé, dans ces conditions, de déléguer la partie musicale à une équipe aussi « historiquement informée ».

De fait, les débuts laissent perplexe, avec d’abord ce décor unique austère qui pose, face à la salle, les bancs en gradins d’une sorte d’amphithéâtre universitaire, couronné par un alignement de vitrines, où apparaîtront successivement les vidéos des captifs tourmentés par la magicienne, ou un désert de dunes balayées par le vent, pour l’acte III.

Comme encore avec ces danses, bien maintenues, mais dont la sécheresse est particulièrement frustrante : on est, évidemment, aux antipodes de la production irrésistiblement « dansante » de Marshall Pynkoski et Jeannette Lajeunesse Zingg, donnée à l’Opéra Royal de Versailles, en novembre 2015 (voir O. M. n° 113  p. 56 de janvier 2016).

Une fois posé le concept – qui, par bonheur, demeurera assez peu développé – d’une sorte de société secrète, dont Armide serait comme « la Mata Hari », et dont le Prologue annonce sur écran le « Jeu », avant la ponctuation par de courts résumés des cinq actes, rebaptisés « Épisodes », il ne sera cependant rien (ou presque) du didactisme potentiel redouté.

C’est aussi que, dès les premières mesures, la partition ne s’en laisse pas conter, et empoigne l’auditeur par une flamme aussi ardente que somptueuse. On en sait une grâce infinie au chef et à son interprète principale.

Vincent Dumestre ne se départ pas d’un investissement intense, avec une gestique expressive qui ferait à elle seule spectacle, jusqu’à la sublime « Passacaille » du V, sans langueurs, ni précipitation, mais avec une fermeté aussi impressionnante qu’inébranlable. Son excellent ensemble Le Poème Harmonique, comme le très performant Chœur de l’Opéra de Dijon, lui répondent superbement.

Stéphanie d’Oustrac, titulaire de droit du rôle d’Armide, depuis la production jusqu’ici de référence de Robert Carsen, pour le Théâtre des Champs-Élysées, en 2008 (en DVD chez FRA Musica), se surpasse encore, s’il était possible. Toujours d’une ardente beauté, splendidement émouvante dans la passion (« Que son amour est différent du mien ! », au III), comme dans la rage, poignante même dans son monologue final, après avoir poussé aux limites du cri.

Stéphanie d’Oustrac est fort bien accompagnée par le Renaud, aux aigus et piani lumineux, de Cyril Auvity. Et par des rôles féminins de poids, où la pure égalité de timbre d’Eva Zaïcik l’emporte encore sur celle de Marie Perbost. Mais, aussi, par d’excellents personnages masculins, notamment l’Hidraot de Tomislav Lavoie, pour son duo grandiose du II, avec Armide (« Esprits de haine et de rage »).

Dès lors, on peut passer sur des choix parfois discutables, mais abondants en moments forts, comme le climax, au II, du monologue « Enfin, il est en ma puissance » d’une Armide triomphante, au-dessus d’un Renaud couché impuissant, sous la lumière crue de son lit d’hôpital (autre justification de l’« amphithéâtre » !), dans une montée régulière en intensité du drame. Et ce, jusqu’à cet « asile des plaisirs » de Quinault, au V, qui devient ici un asile de vieillards, non par un simple jeu de mots, mais en toute conformité avec le sens du texte (« Dans l’hiver de nos ans, l’amour ne règne plus »), et qui peut même fortement toucher.

On parvient même à oublier le cadre inapproprié de l’Auditorium, qui flatte les belles sonorités de l’orchestre, mais dont la réverbération très excessive, outre le surdimensionnement, rend, la plupart du temps, le surtitrage indispensable.

Malgré quelques brèves huées, au milieu du bon accueil final pour l’équipe de production, ce choix délibéré de la « débaroquisation » aura donc été payant, pour faire valoir d’abord ce qui est, en effet, au-delà du faste décoratif, un poignant poème de l’amour désenchanté.

FRANÇOIS LEHEL


© Mirco Magliocca

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