Opéras Rareté de jeunesse de Donizetti à Bergame
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Rareté de jeunesse de Donizetti à Bergame

13/12/2022
© Gianfranco Rota

Teatro Sociale, 19 novembre

Créé à Milan, en 1822, Chiara e Serafina, intitulé « melodramma semiserio », est le premier fiasco du jeune Donizetti. D’évidence, le livret de Felice Romani, inspiré d’une pièce française de Pixérécourt, La Citerne, avec son intrigue compliquée, qui demande une bonne partie du premier acte pour son exposition, et tourne quelque peu en rond au deuxième, en est largement la cause. Il met en scène onze personnages, dont sept au moins essentiels, et joue en permanence sur le mélange des genres, du burlesque au sentimental.

S’Il offre au compositeur un vaste catalogue de situations, il manque un peu d’intérêt dramatique et semble parfois tirer à la ligne, ce que les critiques de l’époque ne manquèrent pas de remarquer. Ce qui, aujourd’hui, nous amuse, par le jeu des références, dut paraître longuet et tiré par les cheveux au public contemporain, qui attendait du nouveau.

À elle seule, l’intrigue demanderait tout un article pour être explicitée. Disons brièvement qu’elle naît d’une trahison, celle de Don Alvaro par Don Fernando, qui l’a fait bannir. Revenu, Don Alvaro cherche à revoir sa fille cadette Serafina, promise à Don Ramiro, mais Don Fernando, voulant l’épouser lui-même, la fait enlever par des pirates qui la séquestrent. Il revient à Chiara, l’autre fille de Don Alvaro, de renverser la situation, avec l’aide de Picaro, un pirate qui, après s’être allié avec Don Fernando, prend le parti de ses victimes. S’ajoutent plusieurs personnages bouffes, qui farcissent les péripéties de leurs excentricités.

Il faut tout le talent de Gianluca Falaschi pour éclaircir ce joyeux embrouillamini et lui donner un semblant de crédibilité théâtrale. Sa mise en scène, dans un décor unique que quelques accessoires transforment, tour à tour, en bord de mer ou en souterrain, refuge des pirates, joue la carte du second degré. Elle mixe à plaisir les codes de l’« opera buffa » et ceux de la comédie musicale, caractérisant les personnages par des costumes et des maquillages inventifs, qui installent l’intrigue dans un univers esthétique très « Belle Époque », proche du cinéma muet.

Si les airs sont clairement d’obédience rossinienne, la riche partition de Donizetti abonde en ensembles d’une grande originalité (trio, quintette et sextuor), et le compositeur, qui avait dû la réaliser en une douzaine de jours, en réutilisera quelques passages dans ses opéras ultérieurs.

Elle est remarquablement défendue par les jeunes chanteurs de l’Accademia di Perfezionamento « Teatro alla Scala ». Ils auraient dû être guidés par le Don Meschino de Pietro Spagnoli, mais le baryton, malade, est finalement remplacé par l’un d’entre eux, Giuseppe De Luca, sans grand dommage pour la qualité du plateau.

Dans cet ensemble très prometteur, on distingue, tout particulièrement, la jolie Chiara de Greta Doveri, soprano à la voix souple, au timbre suave, qui donne beaucoup de relief à son personnage en travesti et conclut brillamment l’opéra sur un rondo ne comportant pas moins de quatre reprises. Si les aigus de la Serafina de Fan Zhou sont encore un peu pointus, la soprano assure, avec beaucoup d’abattage, son grand air colorature.

Quant au Picaro de Sung-Hwan Park, son baryton léger et bien timbré, son expressivité, sa présence scénique, d’une grande agilité, en font clairement un frère cadet du Figaro rossinien. Un cran en dessous, en Don Ramiro, Hyun-Seo Park doit encore trouver l’assise d’un ténor prometteur, mais à l’intonation hésitante.

Parmi les autres rôles, on citera la Lisetta de la mezzo Valentina Pluzhnikova, à la voix corsée, et la double incarnation de la basse Matias Moncada. Mais tous mériteraient mention, car ils contribuent à un spectacle extraordinairement abouti et plein de surprises.

Portée par la baguette précise et vive de Sesto Quatrini, à la tête de l’orchestre Gli Originali, sur instruments d’époque, cette exhumation constitue une véritable révélation. Et, assurément, la production la plus réussie de cette édition du Festival.

ALFRED CARON


© Gianfranco Rota

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