Bruno de Sa : Roma Travestita

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Époustouflant ! C’est le premier mot qui vient à l’esprit, après l’écoute du premier récital de Bruno de Sa. La performance de l’artiste ­brésilien, dans le Polifemo de Bononcini, chez Deutsche Harmonia Mundi, où il incarnait un Aci étonnant (voir O. M. n° 167 p. 59 de décembre 2020), avait attiré l’attention, à juste titre.

A-t-on jamais entendu chant plus aérien, souple, flexible, franchissant sans encombre les sommets les plus aigus (jusqu’au contre-si, sauf erreur), avec un timbre d’une pureté adamantine, radieux, lumineux, dont on ne sait s’il est masculin ou féminin ? Cette voix exceptionnelle, naturelle puisqu’elle n’a pas mué à la puberté, ne peut en rien être confondue avec le falsetto d’un contre-ténor : Bruno de Sa est un sopraniste, revendiqué comme tel.

Technicien hors pair, il est aussi, et surtout, un musicien unique. L’art du virtuose est phénoménal – l’album se termine par un extrait de La buona figliuola, o La Cecchina de Piccinni, jadis révélé par Joan Sutherland (« Furie di donna irata »), feu d’artifice étincelant, dont les vocalises et les notes piquées donnent le vertige. La sensibilité de l’interprète n’est pas moins remarquable, évidente dans une ligne de chant déployée avec un goût exquis et des nuances d’une rare subtilité, comme dans « Senza l’amato ben  », tiré du Giustino de Vivaldi.

Conçu par Yannis François, chanteur, danseur et infatigable chercheur de manuscrits oubliés, le programme, gravé en studio, en février-mars 2021, renferme son lot d’inédits : de Vinci (Farnace), Di Capua (Vologeso), Arena (Achille in Sciro), Garcia Fajer (Pompeo Magno in Armenia) et autres. Les deux plus excitants sont signés Gioacchino Cocchi, et tirés de son Adelaide : « Timida pastorella », long lamento phrasé avec une sincérité touchante et orné d’un suraigu ahurissant, sans jamais donner l’impression d’un effet ostentatoire ; puis « Nobil onda », où les espoirs de délivrance d’une reine prisonnière se traduisent avec exubérance.

Gorgés de mélodies séduisantes, ces airs sont les témoins éloquents d’une époque qui interdisait aux femmes de se produire sur scène ; exclusivement masculines, les distributions faisaient la part belle aux castrats, flamboyantes vedettes du moment – Farinelli, le plus célèbre d’entre eux, ne négligeait pas les emplois masculins, mais endossait sans complexe des rôles d’héroïnes, comme Berenice dans Farnace de Vinci, ici reprise par Bruno de Sa.

Ce dernier s’en tient à des figures de femmes, jouant sur une ambiguïté vocale pour le moins troublante. La question du genre, présente actuellement jusqu’à devenir une mode, n’a pas ignoré le domaine musical – reportons-nous au captivant livre de Louis Bilodeau, Genre et opéra, l’incertitude des sexes (voir O. M. n° 184 p. 87 de juillet-août 2022). Cette anthologie l’exploite avec succès, grâce à un interprète hors norme.

Par son dynamisme, ses couleurs scintillantes, l’ensemble Il Pomo d’Oro, sous l’alerte baguette de Francesco Corti, confirme qu’il occupe une place de choix parmi les « baroqueux » du moment. L’extrait de Farnace déjà cité, merveilleusement serti dans un accompagnement de psaltérion, illustre à la perfection le talent des musiciens et du chanteur.

MICHEL PAROUTY

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