Opéras Spectaculaire Macbeth à Barcelone
Opéras

Spectaculaire Macbeth à Barcelone

03/03/2023
© David Ruano

Gran Teatre del Liceu, 22 & 23 février

Jaume Plensa est loin d’être un novice en matière d’opéra. Mais si le sculpteur espagnol a signé, à l’invitation de Gerard Mortier, les décors et les costumes de plusieurs spectacles de La Fura dels Baus, cette production de Macbeth marque bel et bien ses débuts de metteur en scène lyrique.

D’autres artistes contemporains, tentés par cet exercice qui peut se révéler aussi périlleux que peu gratifiant, lorsque tombe le verdict du public, s’y sont fourvoyés avant lui. Sans renoncer aux motifs récurrents des sculptures monumentales qui ont fait sa renommée – têtes anamorphosées ou grillagées, homme assis les jambes contre la poitrine, formé à partir de lettres combinées de façon aléatoire, qui apparaissent aussi brandies dans les airs, ou encore sur les costumes –, Jaume Plensa évite cet écueil, en prenant le parti d’un plateau souvent nu, un peu à la manière de Robert Wilson.

Pour la plupart d’une grande beauté, ses tableaux doivent beaucoup aux atmosphères, comme sculptées dans une pénombre en rouge, vert ou noir, par les lumières d’Urs Schönebaum. Sans doute la scène la plus marquante, à cet égard, est-elle celle du face-à-face entre Macbeth et sa Lady, qui précède et suit l’assassinat de Duncano, située ici dans un couloir s’enfonçant en oblique dans une nuit sans fin.

Un vestiaire stylisé, néo-médiéval, en vérité, une capacité, aussi, à ne pas sombrer dans une sorte de variation narcissique sur les mêmes éléments plastiques, et la vision, enfin, de l’ultime assaut de la forêt de Birnam en marche contre les soldats du roi d’Écosse, chorégraphié tel un jeu de mikado géant, qui n’est pas sans rappeler les panneaux de la Battaglia di San Romano de Paolo Uccello, ajoutent encore à la qualité esthétique et spectaculaire, sinon dramatique, de l’ensemble.

Il n’en faut pas moins regretter qu’un tel sens de l’image et de l’espace n’empêche pas Jaume Plensa de livrer les protagonistes, seuls ou en duo, aux conventions et poses les plus figées du théâtre lyrique, qui évidemment ne sauraient suffire, pour porter à leur paroxysme le bruit et la fureur de la tentative shakespearienne originelle de Verdi.

À l’exception du Requiem, Josep Pons n’avait, semble-t-il, jamais dirigé aucune œuvre du compositeur. Pose-t-il, pour autant, un regard neuf sur Macbeth ? Le chef espagnol souffle plutôt le chaud et le froid, alternant alanguissements et coups de cravache, jusqu’à un « Patria oppressa ! » vidé de toute pulsation, auquel il fait une espèce de sort moderniste, aussi fascinant le premier soir qu’agaçant le second…

Parce qu’il relève, dans la majorité des ouvrages programmés chaque saison, le défi d’une double distribution, le Liceu propose une sorte d’état des lieux de l’interprétation. Pour le meilleur, et pour le pire.

À cette catégorie appartient Zeljko Lucic – remplaçant Carlos Alvarez, initalement annoncé –, certes moins gris, en Macbeth, qu’en Luna (Il trovatore), mais toujours nasal et fixe dans le haut du registre, et chantant fort et mal, même s’il assouplit soudain la conduite de « Pietà, rispetto, onore », avant qu’une conclusion à l’arraché ne ruine ses efforts. Malgré une émission bouchée et souvent raidie, Luca Salsi, qui passe pour l’une des rares alternatives crédibles à Ludovic Tézier dans ces emplois, avait, la veille, l’avantage d’un sens du texte et d’un relief dynamique plus authentiquement verdiens.

De même, Erwin Schrott valait bien mieux, en dépit d’un premier abord rocailleux, sinon graillonneux, vite estompé par la générosité du geste vocal, que le Banco de Simon Orfila qui, à ce défaut, ajoute un vibrato intempestivement lâche. Quant à Francesco Pio Galasso, il déploie, en Macduff, une ligne soignée, qui ne peut faire oublier les effets d’un excès d’appui laryngé, tandis que Celso Albelo amplifie les travers du ténor fâché avec la mesure, par le vain éclat d’aigus ostensiblement rajoutés.

Difficile, enfin, d’imaginer deux personnalités et conceptions du chant plus dissemblables que celles de Sondra Radvanovsky et Ekaterina Semenchuk. Deux écoles, en somme, non pas s’affrontent, mais du moins s’opposent.

Habituée du rôle de Lady Macbeth, qui la révèle d’ailleurs nettement plus attentive au texte et aux nuances qu’en d’autres circonstances, Ekaterina Semenchuk – remplaçant Anna Pirozzi, initialement annoncée – déploie sur tout l’ambitus une opulence cuivrée, et même flamboyante sur les cimes, qu’elle atteint bras levé, le doigt pointé vers le ciel. Et si elle ne creuse pas suffisamment les inflexions pour atteindre les recoins les plus sinueux de ce caractère ténébreux, la mezzo-soprano biélorusse en a bel et bien apprivoisé les chausse-trappes d’écriture.

Sans doute Sondra Radvanovsky, qui se confrontait au personnage pour la deuxième fois, correspond-elle davantage au désir formulé par Verdi concernant sa « créature » : celui d’un instrument âpre – quoique ni étouffé, ni sombre –, et surtout singulièrement escarpé, y compris dans l’articulation méticuleuse des agilités. Mais parce qu’elle ne s’autorise à poitriner que très bas, les déséquilibres de la tessiture tendent à priver le grave et une partie du médium d’impact et de mordant – alors même que les notes les plus élevées jaillissent, pleines et tranchantes, tel un geyser.

Et puis, il aura manqué à la soprano américano-canadienne un chef et un metteur en scène plus concernés par les méandres de la psyché, pour la guider vers les tréfonds les plus obscurs de cette figure maléfique. Quand elle les aura enfin sondés, son incarnation, encore en devenir, ne pourra être qu’absolument majeure.

MEHDI MAHDAVI


© David Ruano

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