Opéras Triomphales Noces à Vienne
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Triomphales Noces à Vienne

06/04/2023
© Wiener Staatsoper/Michael Pöhn

Staatsoper, 23 mars

Le triomphe de ces Nozze di Figaro est d’abord celui de la troupe du Staatsoper de Vienne, dont sont issus près des deux tiers du plateau vocal. Et si la production est bel et bien nouvelle, la distribution est composée, dans sa grande majorité, de solistes ayant déjà foulé ces mêmes planches dans leurs rôles respectifs, ou du moins dans l’ouvrage.

D’où cette vive impression d’un ensemble supérieurement soudé, au sein duquel s’épanouissent, en même temps et autant qu’elles s’y fondent, des individualités suffisamment affirmées – sans rivaliser, certes, ni d’ailleurs, peut-être, y prétendre, avec les grandes références du passé. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la remarque valait déjà pour le Don Giovanni qui avait inauguré, en 2021-2022, la « trilogie Mozart/Da Ponte » confiée à Philippe Jordan et Barrie Kosky (voir O. M. n° 185 p. 78 de septembre 2022).

Grands, sveltes et beaux, idéalement appariés, donc, Hanna-Elisabeth Müller et Andrè Schuen ont aussi, pour le couple Almaviva, l’avantage de la jeunesse. C’est ainsi que, chez la première Comtesse de la soprano allemande, domine encore la lumière, qui irradie un chant d’une tenue instrumentale et d’une pureté d’intonation l’absolvant de ne pas varier la dynamique, non plus que de teinter d’ombres ses accès de mélancolie. Le baryton italien confirme, pour sa part, l’intuition ressentie, en 2021, au Festival d’Aix-en-Provence, où il cherchait les graves de Figaro : même si la ligne tend à se relâcher, le sombre velouté du timbre est bien d’un aristocrate.

Le contraste est, à cet égard, idéal avec Peter Kellner, qui dessine son valet d’une pointe plus sèche, un peu grise même, sans qu’elle ne tarisse sa verve, ni sa vigueur. Après avoir joué les voix « off » depuis la fosse, lors des premières représentations de la série, tandis que Ying Fang, initialement prévue en Susanna, était réduite au mime par un refroidissement, Maria Nazarova a fini par la remplacer, parachevant avec une réjouissante aisance, sur tout l’ambitus, le processus d’une prise de rôle qui fait mouche.

Quel bonheur que le Cherubino bouillonnant de Patricia Nolz, savoureusement adolescent par sa manière jamais figée d’emporter « Non so più » dans un débit vraiment haletant, et de ne pas s’écouter dans « Voi che sapete » ! Enfin, si Josh Lovell se prend la langue dans les persiflages de Basilio, la haute silhouette de Stephanie Houtzeel, le grain noir et plastronnant de Stefan Cerny arrachent Marcellina et Bartolo à une tradition caricaturale, cultivée par ces vétérans qui en ont habituellement l’apanage. Et puis, Johanna Wallroth fait une adorable Barbarina, Wolfgang Bankl n’a pas dit son dernier mot, loin s’en faut, en Antonio, et Andrea Giovannini donne sa minute de gloire à Don Curzio.

Comme dans Don Giovanni, Philippe Jordan accompagne lui-même les récitatifs au plus près du texte, avec une souple élégance qui n’exclut pas la fantaisie – quoiqu’elle paraisse discrète, comparée à la volubilité brandie en étendard par certains tenants de l’interprétation « historiquement informée ». Ce n’est, de toute façon, pas dans cette direction que le chef suisse regarde, qui trouve, sans rien forcer, la juste animation et, en contradiction avec la raideur du geste, et plus encore de la posture, une fluidité magnifiée par un orchestre d’une plénitude – y compris en effectif très resserré –, mieux, d’une volupté d’un autre âge, peut-être, mais souvent enivrantes.

La mise en scène de Barrie Kosky, qui succède à celle, forcément mythique, de Jean-Pierre Ponnelle – remplacée, pendant le mandat de Dominique Meyer, par celle de Jean-Louis Martinoty, puis rétablie par son successeur, Bogdan Roscic, pour un dernier tour de piste –, ne tend pas non plus vers un électrochoc esthétique. Les lieux de l’action sont, en effet, clairement définis, depuis le vestibule blanc, lieu de passage incessant, « offert » à Figaro et Susanna, avec ses portes à battants surmontées de clochettes, jusqu’à l’évocation du jardin, plan incliné peint de sombres feuillages et percé de trappes, en passant par la chambre rococo de la Comtesse et un salon d’apparat couvert de fresques.

La comédie y bat son plein, tantôt en assumant les conventions théâtrales, tantôt en les faisant voler en éclats, avec un sens du rythme qui, comme toujours avec Barrie Kosky, est celui de la vie même. Sans oublier cette capacité à révéler les enjeux dramaturgiques de la pièce sans se payer de concept, en particulier la frontière sociale infranchissable entre les maîtres, arborant le luxe vaporeux d’étoffes bariolées, et leur domesticité, en sombres livrées strictement ajustées.

Dès le lendemain de leur mariage, Figaro et Susanna se retrouveront d’ailleurs, comme la veille, à l’aube de leur « folle journée », chacun devant leur porte, à attendre que tintent les sonnettes – « dindin » d’un côté, « dondon » de l’autre – les rappelant à leur condition.

MEHDI MAHDAVI


© Wiener Staatsoper/Michael Pöhn

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