Opéras Venise renoue avec Ernani
Opéras

Venise renoue avec Ernani

31/03/2023
© Silvestri

Teatro La Fenice, 19 mars

L’envie de subversion peut venir d’une blessure secrète. Ainsi pourrait-on résumer la manière dont Andrea Bernard voit la parabole tragique du héros, dans cette nouvelle mise en scène d’Ernani (Venise, 1844), coproduction entre le Teatro La Fenice et le Palau de les Arts « Reina Sofia »de Valence : l’aristocrate – né Don Giovanni d’Aragona – se serait fait bandit, sous le nom d’Ernani, moins par subversion politique que par désir de vengeance, tant le meurtre de son père le hanterait depuis l’enfance. Souvenir traumatique, dont le jeune metteur en scène italien tire un film en noir et blanc, projeté durant l’Ouverture.

D’autres séquences vidéo, en guise de flash-back, viendront rappeler le moteur du drame, tout comme les apparitions, à chaque acte, d’un figurant habillé en soldat, avec casque, armure et ailes d’ange dans le dos. À la fin, il se révèlera être le père d’Ernani, lorsqu’il prendra la main de son fils mourant, depuis la table nuptiale transformée en cercueil.

C’est à peu près tout ce qu’on nous montre. Car, une fois l’événement fondateur posé, on en reste à l’état d’ébauche. Comme si Andrea Bernard n’osait pas, pour épouser pleinement son propos, se détacher d’un historicisme omniprésent, malgré une certaine épure scénographique – pans de murs d’un château pour tout décor, costumes inspirés de la Renaissance –, au point de sacrifier le drame intérieur du héros au tableau d’ensemble.

L’action vire souvent à l’illustration, et une direction d’acteurs anecdotique étouffe le principal atout du cinquième opéra de Verdi – son énergie débordante –, en créant une sensation de décalage entre le statisme de la mise en scène et le rythme serré, parfois frénétique, du livret de Francesco Maria Piave.

Le contraste est d’autant plus frappant que la passion se déchaîne dans la fosse. Si l’orchestre maison brûle d’ardeur, sous la baguette de Riccardo Frizza, le volume est souvent hors de contrôle, jusqu’à banaliser tel ou tel passage intimiste (méditation de Don Carlo, au début du III), voire à écraser les voix dans les nuances piano. La pulsation fébrile (à l’origine de quelques décalages avec les chœurs, par ailleurs exemplaires), la lourdeur des cuivres et des percussions, le mordant presque martial de l’accompagnement rythmique poussent la tension à son paroxysme, pour une narration aussi incisive que dépourvue de subtilité.

C’est aux interprètes de faire oublier ces défauts par l’expressivité du chant, avec, au-dessus de tous, l’inoxydable basse Michele Pertusi. La présence en scène, la noblesse de la ligne, le cisèlement de la parole vont jusqu’à conférer au sinistre Silva une touchante humanité.

Sacré défi, face à ce géant, pour le Don Carlo d’Ernesto Petti, baryton au timbre cuivré, à la projection insolente, à l’émission nuancée, qui affronte le rôle avec panache – moins convaincant, toutefois, dans son grand air du III que dans celui du I : question d’intonation, de stabilité dans l’aigu, mais aussi de naturel et de souplesse dans le phrasé.

Parfaitement à l’aise en Ernani, Piero Pretti campe un héros plein d’éclat. Mais si le ténor passe la rampe avec facilité, c’est au prix de la variété des couleurs et de la plasticité des accents, sans lesquelles l’esprit belcantiste de l’écriture s’en trouve effacé.

Ravissante dans sa robe rouge sang, Anastasia Bartoli est la véritable protagoniste du spectacle. Elvira semble taillée sur mesure pour son soprano corsé, à l’aigu puissant, alliant une impeccable technique de colorature, avec une maturité dramatique surprenante pour ses 32 ans. Elle laisse transparaître ici et là, sous la retenue de l’héroïne romantique, l’ardeur d’une Lady Macbeth, rôle qui l’a récemment révélée au grand public.

Nul doute que, sous une baguette plus inspirée, la fille de Cecilia Gasdia aura de quoi transcender bien d’autres emplois de soprano drammatico d’agilità, toujours difficiles à distribuer.

PAOLO PIRO


© Silvestri

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