Opéras Vêpres houleuses à Milan
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Vêpres houleuses à Milan

10/02/2023
© Teatro Alla Scala/Brescia/Amisano

Teatro alla Scala, 28 janvier

Une ombre plane, à la Scala, sur I vespri siciliani : celle de Maria Callas qui, en 1951, triomphait devant le public milanais dans cet opéra, alors presque oublié. Au point que certains « loggionisti » – ces habitués, agressifs et bruyants, des loges supérieures – se croient toujours chargés, comme pour honorer la mémoire de leur idole, de démolir toute nouvelle production de l’ouvrage. La dernière en date, celle de 1989, avec Riccardo Muti à la baguette, est restée dans les annales, comme l’une des ouvertures de saison les plus contestées.

Cette fois-ci, rien ne laissait présager de telles réactions, à la fin d’une soirée tout à fait appréciable sur le plan musical. Sauf que le public a dû redoubler de ferveur, aux saluts, pour couvrir les huées (plus ou moins sonores) tombant du dernier étage. Personne n’a été épargné, sauf Piero Pretti, auteur, il est vrai, d’une performance de bout en bout convaincante dans le rôle meurtrier d’Arrigo, auquel le ténor italien prête sa voix charnue et lumineuse, avec une vaillance admirable.

Si l’on ressent une certaine déception, c’est surtout à l’égard du Coréen Simon Lim, basse bien chantante, certes – quoique plafonnant dans l’aigu –, mais au phrasé tellement scolaire et à la présence tellement raide que son Procida peine à exister.

L’Italien Luca Micheletti, en revanche, n’appelle qu’une petite réserve, concernant une émission parfois engorgée. Pour le reste, il affiche, en Monforte, une aisance scénique à faire pâlir ses partenaires, outre des moyens impressionnants – timbre sombre et généreux, projection insolente, souffle inépuisable –, qui font de cet acteur et metteur en scène, reconverti en baryton, un phénomène à suivre de près.

Quant à Marina Rebeka, on ne dira pas que le rôle d’Elena lui va comme un gant. Question de profil vocal, très exigeant dans le bas médium et le grave, où la soprano lettone reste souvent en retrait. Mais, dans les épanchements lyriques, elle a l’occasion de déployer son timbre attachant, son sens des nuances, sa musicalité hors pair : le magnifique « Arrigo ! Ah, parli a un core » est exemplaire d’expressivité et de raffinement, jusque dans la vertigineuse cadence finale.

On peine donc à comprendre les quelques huées qui, au milieu d’une salve d’applaudissements, saluent son « Mercé, dilette amiche » (ouvrant d’emblée le dernier acte, étant donné l’inexplicable coupure du chœur introductif). Certes, on peut souhaiter davantage de mordant, mais la ligne est merveilleusement stylée, et la maîtrise technique époustouflante, surtout au tempo très rapide adopté par Fabio Luisi.

Le chef italien dirige avec élégance, distillant une vitalité de chaque instant, sans renoncer au côté grandiloquent de la partition, au risque parfois de gonfler l’orchestre, jusqu’à couvrir les voix. Ce n’est là rien d’impardonnable, tout comme les quelques décalages des chœurs – surtout pour une première représentation.

Situant l’intrigue lors de l’occupation américaine de la Sicile, durant la Seconde Guerre mondiale, Hugo de Ana, très contesté au rideau final, opère une transposition légitime, sans pourtant dépasser le niveau purement illustratif. L’idée centrale du metteur en scène argentin – l’humiliation que l’envahisseur inflige, avec vexations et violences de toutes sortes, au peuple opprimé – se traduit dans les décors bien davantage que dans le jeu.

Ce dernier est réduit aux gestes convenus des interprètes, à quelques mouvements, d’ailleurs plutôt réussis, des chœurs, et à la présence d’éléments symboliques, comme ces deux figurants, le Chevalier et la Mort, tout droit sortis du Septième Sceau d’Ingmar Bergman (alors que l’héroïne a plutôt des allures de Sophia Loren dans La ciociara de Vittorio De Sica), ou ce grand arbre argenté, prenant feu aux derniers instants du spectacle.

Un char, un canon et autres armements lourds trônent, tour à tour, au centre du plateau. Des soldats en uniforme torturent leurs prisonniers, quand ils ne violent pas des femmes aux visages hallucinés. La détresse de tout un peuple est soulignée par les mille nuances de gris des décors et des costumes, éclairés par Vinicio Cheli d’une lumière invariablement glaciale. Une ambiance qui fait froid dans le dos, et qui aurait tout, en principe, pour favoriser une vision dramatique.

Malheureusement, c’est plutôt le statisme qui domine. L’ennui s’installe au fil du spectacle, rendant ses trois heures quarante très longues, et dissipant presque le regret de ne pas entendre la musique du « Ballet des Quatre Saisons » – omise, selon une tradition qu’il serait temps de briser.

PAOLO PIRO


© Teatro Alla Scala/Brescia/Amisano

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