Opéras Vivaldi sort grandi à Berlin
Opéras

Vivaldi sort grandi à Berlin

03/01/2023
© Matthias Baus

Staatsoper Unter den Linden, 6 décembre

Longtemps, René Jacobs a professé, plus que de la méfiance, un certain mépris à l’égard de Vivaldi – sans doute jugé coupable, à ses yeux, de séduire l’oreille avec trop de facilité. C’est aussi que d’autres compositeurs, sinon tout à fait oubliés, du moins très injustement négligés par la postérité, méritaient davantage qu’il se consacre à la réhabilitation de leurs œuvres dramatiques. Il en est résulté des productions majeures, dont le Staatsoper Unter den Linden aura été le cadre privilégié. Et ce, dès 1992, avec la recréation de Cleopatra e Cesare de Graun, qui avait inauguré les lieux, deux cent cinquante ans plus tôt.

Un quart de siècle durant, le répertoire baroque y est, d’ailleurs, demeuré le domaine réservé du chef belge, qui a eu carte blanche pour mettre en lumière des titres aussi obscurs que Croesus de Keiser, Griselda de Scarlatti, Emma und Eginhard de Telemann ou Amor vien dal destino de Steffani – la liste est loin d’être exhaustive. Marquée par l’instauration des « Barocktage », l’arrivée de Matthias Schulz, à la tête de l’institution berlinoise, a quelque peu changé la donne : depuis 2018, d’autres éminents représentants de la pratique « historiquement informée » ont, en effet, droit de cité dans la fosse du théâtre, où les apparitions de René Jacobs sont devenues moins systématiques.

Le choix de Giustino (Rome, 1724) apparaît, dans ce contexte, comme le fruit d’un compromis. Mais de ce mariage arrangé, Vivaldi sort assurément grandi, le maestro philologue ayant, une fois attelé à la tâche, porté à l’étude et à la préparation, puis à l’interprétation de la partition, un soin non moins minutieux, voire maniaque, qu’à son travail sur des ouvrages à l’écriture censément plus savante.

Il lui a ainsi fallu tailler dans un « dramma per musica » avoisinant les cinq heures, pour l’amener à des proportions adaptées à sa représentation. Mais sans trop sacrifier les récitatifs, afin de garder une cohérence dans le déroulement de l’intrigue, qui, dans bien des livrets de cette époque, ne va pas nécessairement de soi. Grâce à une science supérieure des contrastes, et de leur dosage, le version proposée tient assez constamment en haleine.

D’autant que l’approche millimitrée de René Jacobs ne va pas à l’encontre d’un hédonisme sonore, magnifié par la palette chromatique et dynamique de l’Akademie für Alte Musik Berlin – augmentée du céleste psaltérion de Franziska Fleischanderl –, et où s’insinue le plaisir de la reconnaissance : en plus du thème de La primavera, autocitation de Vivaldi cherchant à séduire le public romain, le chef saupoudre l’opéra de pincées toujours opportunes des Quattro Stagioni. Et fait, en somme, œuvre de dramaturge autant que de musicien.

La mise en scène n’a plus, dès lors, qu’à illustrer un propos déjà suffisamment dense, sans lui superposer des intentions susceptibles de brouiller les lignes d’une action narrant l’accession au trône du héros éponyme, dont le trop-plein de bravoure déborde la condition de paysan. Barbora Horakova esquisse une réflexion sur l’aspiration au bonheur, agrémentée de commentaires défilant sur un écran, et assigne à chaque personnage un double en culottes courtes, pour signifier que les enfants sont plus lucides que les adultes. Le tout dans une sorte de carcasse de machinerie baroque, qui tient davantage du bric-à-brac.

Un esprit de dérision, souvent proche de la bande dessinée, maintient le rythme d’un scénario riche en rebondissements, et trouve dans la distribution des relais plus que réjouissants. Ainsi, Helena Rasker et Raffaele Pe valent, surtout, par leurs talents de comédiens. Elle, vraiment impayable en improbable hermaphrodite, dont les attributs tantôt féminins, tantôt masculins se signalent en pendouillant, rendant presque sympathique le peu recommandable Andronico. Lui, embarrassé par la tessiture trop élevée d’Anastasio, qui l’oblige à contorsionner son émission, au péril de l’intonation, pour venir à bout du planant « Vedro con mio diletto », mais assez irrésistible en couard narcissique.

Remarqué sur la même scène aussi bien en Pong (Turandot) qu’en Froh (Das Rheingold), Siyabonga Maqungo illustre avec style, panache même, les vertus de la troupe, bien que son ravissant ténor soit trop haut perché pour les sauts de registre belliqueux de Vitaliano. Robin Johannsen et Kateryna Kasper différencient à merveille Leocasta et Arianna, agiles l’une autant que l’autre, et la seconde usant sans modération d’un capiteux supplément de pulpe.

Quant à Christophe Dumaux, il s’empare du rôle-titre avec cet alliage d’énergie virile et de frémissante sensibilité qui, malgré une couleur toujours un peu pincée, captive d’emblée.

MEHDI MAHDAVI


© Matthias Baus

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