Interview Edwin Crossley-Mercer et Michel Dalberto : « C...
Interview

Edwin Crossley-Mercer et Michel Dalberto : « Chaque interprète a une véritable histoire à raconter »

02/03/2023

Leur duo fête ses dix ans d’existence. Edwin Crossley-Mercer et Michel Dalberto se retrouvent au Printemps des Arts de Monte-Carlo, dans le cadre de la thématique  « Ma fin est mon commencement », pour un programme de lieder et mélodies de Schubert, Franck, Duparc et Fauré. Comme en récital, le baryton et le pianiste s’écoutent pour mieux se répondre, et dissiper, peut-être, une part du mystère de cet art de la fusion entre musique et poésie.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

MD : Grâce à Philippe Jordan, que je connais depuis longtemps. Après une représentation d’Arabella de Strauss, en 2012, à l’Opéra Bastille, il nous a présentés en nous disant que nous devrions faire des choses ensemble ! Notre première collaboration remonte à 2013. J’en ai un souvenir très particulier, parce que c’est l’une des très rares fois où je me suis mis à pleurer pendant un concert. J’ai été pris par l’émotion des deux derniers lieder de Die schöne Müllerin de Schubert. 

ECM : Depuis, nous avons fait quelques récitals ensemble, et nous en referons d’autres !

Comment avez-vous composé le programme de votre récital au Printemps des Arts de Monte-Carlo ?

MD : Nous sommes partis de la thématique choisie en 2022 par Bruno Mantovani, le directeur du Festival, et poursuivie cette année, « Ma fin est mon commencement ». La production musicale de Schubert couvrant à peine dix-huit années, il est difficile de parler, le concernant, d’œuvres de jeunesse ou tardives. Erlkönig (1815), écrit à 17 ans, est pratiquement son premier lied, et ceux de Schwanengesang (1828), ses tous derniers, datent de peu avant sa mort. L’évolution d’Henri Duparc est assez courte, elle aussi, et nous donnons sa première mélodie (Chanson triste), et sa toute dernière (La Vie antérieure), qu’il a mis plusieurs années à écrire. Quant à César Franck, nous l’adorons, Bruno et moi, d’où sa présence au programme.


Edwin Crossley-Mercer. © Karl Lagerfeld

ECM : Nous pouvions mettre beaucoup de choses dans cette thématique. Nous avions aussi des pièces que nous avons déjà interprétées plusieurs fois ensemble. Et je chanterai par ailleurs pour la première fois La Bonne Chanson de Gabriel Fauré.

Comment avez-vous adapté les différents lieder à la tessiture d’Edwin Crossley-Mercer ?

ECM : Beaucoup de partitions sont déjà éditées transposées. Dans un cycle de lieder, la voix ne doit pas être plus emphatique que le poème. La finesse et la délicatesse, tout comme le jeu de l’accompagnement et de la poésie, doivent primer. En récital, on chante aussi en continu pendant une heure. Je donne donc la priorité au style, en fonction du cœur de ma tessiture, pour que l’interprétation ne soit pas trop opératique. 

MD : Dans le passé, la dénomination de baryton correspondait presque à des voix de ténors. La première fois que j’ai joué Winterreise avec un ténor, j’ai été tout de suite saisi par la tonalité de ré mineur du premier lied, alors que je l’avais jusqu’alors interprété en ut mineur avec des barytons. La couleur était très différente, alors que c’était la tonalité d’origine. Les pianos de l’époque de Schubert avaient aussi un plus grand respect de ce que sont la basse, le médium et l’aigu, alors qu’aujourd’hui, on cherche une forme d’homogénéité.

Quel est le plus important dans le lied ? L’efficacité, la musicalité, la narration ?

ECM : Le lied est la raison pour laquelle je suis allé en Allemagne. J’ai pratiqué la langue allemande grâce à ce répertoire, et en chanter m’a aidé à mieux la parler. Entre Busoni, Beethoven, Berg et Eisler, on se rend compte que le genre est à la fois très vaste, et très varié. Plus j’en fais, plus j’ai envie d’en faire ! Dans toute œuvre chantée, les aspects poétiques, lyriques et théâtraux d’un texte doivent être traduits, transmis et soutenus par la musique. Erlkönig est, par exemple, très proche de la déclamation, tandis que d’autres lieder sont plus mélodiques. La théâtralité passe tantôt par la musicalité, tantôt par le propos du texte. La merveille du lied, c’est qu’il y a un consensus musical entre le pianiste et le chanteur.


Michel Dalberto. © Élian Bachini

MD : J’ai reçu mes enseignements musicaux les plus importants avec des chanteurs. Et je conseille souvent à mes élèves d’écouter les opéras de Mozart, et les lieder de Schubert, Schumann ou Brahms, pour qu’ils puissent y trouver des liens de parenté avec nos sonates, impromptus et moments musicaux. Avec le texte, on identifie plus précisément une situation ou un sentiment dans la musique, ce qui permet, par la suite, de mieux caractériser son jeu de soliste. Ce ne sont pas juste des notes, des harmonies et des contrepoints. Chaque interprète a une véritable histoire à écrire et à raconter. 

Comment vous imprégnez-vous du chant et du jeu de l’un et de l’autre ?

ECM : C’est tout simplement de la musique de chambre. J’accompagne Michel autant qu’il m’accompagne.

MD : Pour faire entendre tous les détails sophistiqués d’harmonie et d’enchaînement écrits au piano, c’est vraiment le chanteur qui doit m’accompagner. 

ECM : Nous avons ce sens de la respiration mutuelle. Sans cela, il n’y a pas de plaisir, ni même de musique à deux.

Propos recueillis par THIBAULT VICQ

À voir :

Lieder et mélodies de Franz Schubert, César Franck, Gabriel Fauré et Henri Duparc, avec Edwin Crossley-Mercer (baryton) et Michel Dalberto (piano), au Printemps des Arts de Monte-Carlo, le 11 mars 2023.

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