Interview Jérémie Rhorer : « Mon rêve absolu est Pu...
Interview

Jérémie Rhorer : « Mon rêve absolu est Puccini »

18/08/2022
© Caroline Doutre

Longtemps indissociable de Mozart, Jérémie Rhorer n’en a pas moins étendu l’horizon de son répertoire lyrique à Rossini, Strauss, Poulenc, et même à la création. Après La traviata au Théâtre des Champs-Élysées, le fondateur du Cercle de l’Harmonie dirige son deuxième opéra de Verdi sur instruments d’époque avec Rigoletto, au Festival Berlioz de la Côte-Saint-André. 

Comment Verdi est-il arrivé dans votre parcours, d’abord placé sous le signe de Mozart, auquel vous avez longtemps été étroitement, sinon presque exclusivement, associé ?

Mozart m’a, en effet, apporté une certaine reconnaissance dès mes débuts, et j’y reviens toujours avec bonheur. Il m’était cependant nécessaire, pour grandir en tant que chef, d’aborder d’autres répertoires, tant à la tête du Cercle de l’Harmonie, que comme chef invité. C’est dans ce dernier cadre que j’ai eu, en 2016, mes deux premières opportunités verdiennes : d’abord Stiffelio, sur scène à l’Opéra de Francfort, puis le Requiem, avec l’Orchestre National de France et le Chœur de Radio France. Deux belles aventures, où j’ai néanmoins éprouvé toutes les limites de l’interprétation de cette musique avec une phalange moderne. D’où, deux ans plus tard, l’extraordinaire expérience de diriger enfin La traviata avec le Cercle de l’Harmonie, au Théâtre des Champs-Élysées. Car les instruments d’époque permettent une lecture plus proche de la pensée du compositeur, quel qu’il soit. Ainsi, Verdi tenait énormément au diapason à 432 Hz –  alors que le la est actuellement à 440 Hz, voire parfois plus haut encore –, au point d’écrire une lettre au sénat italien en ce sens. 

Jérémie Rhorer dirigeant le Cercle de l’Harmonie © Caroline Doutre

Pourquoi cette fixation sur le diapason  ?

Verdi savait, en fin connaisseur des voix, qu’un la plus bas permet, d’un point de vue physiologique, davantage de détente pour le chant. Sur le plan instrumental, le diapason modifie les timbres, et partant, l’équilibre, non seulement à l’intérieur de l’orchestre, mais aussi entre la fosse et le plateau. La balance est ainsi bien plus naturelle – comme organique –, et les chanteurs n’ont plus à forcer. Car il est clair, pour moi, que Verdi se réclame d’une esthétique française de l’orchestre, par sa grande clarté de texture, en opposition à l’école germanique, davantage à la recherche du brillant, du gigantisme : il connaissait à fond le Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes de Berlioz. 

Votre lecture de Verdi s’appuie aussi sur un refus des traditions, en prônant un retour absolu au texte musical…

En effet, c’est un travail de titan, déjà initié voici quelques décennies par Riccardo Muti – non sans d’ailleurs d’énormes résistances, tant chez les musiciens et les chanteurs, que de la part du public. Il faut questionner toutes ces traditions interprétatives colportées depuis des décennies, sans qu’on s’interroge jamais sur leur légitimité, ni même sur la date où elles ont été fixées. Pour les nuances, par exemple, Verdi note bien plus de passages ppp, voire pppp qu’on ne le croit, ce qui n’est quasiment jamais respecté. Cette même « tradition » impose des tempi n’ayant parfois rien à voir avec ce qui est écrit, ou de soudains rallentando ou accelerando tout aussi arbitraires. Sans parler des coupures qui dénaturent les œuvres – ainsi, dans La traviata, des deuxièmes couplets de « Ah fors’è lui » et d’« Addio del passato », ou encore de la reprise des cabalettes.

Il existe, à mon sens, une filiation claire, qui va de Gluck à Wagner, Verdi compris. Jérémie Rhorer

S’agissant du chant, que dire de ces contre-notes rajoutées et tenues plus que de raison ? Pour sa première Violetta, Vannina Santoni avait sans problème renoncé au contre-mi bémol de son premier air, tandis que Saimir Pirgu s’est laissé convaincre de renoncer au traditionnel contre-ut de la cabalette d’Alfredo. Dans Rigoletto, je compte bien obtenir pareil respect de la partition, y compris de chanteurs ayant déjà souvent chanté leur rôle, comme ce sera le cas. Ce qui me fait grand plaisir, c’est que ce projet Verdi commence à intéresser des interprètes tels que Ludovic Tézier : il n’était, hélas, pas libre, mais il serait tout à fait partant pour travailler dans cette optique.

Quels autres opéras de Verdi, ou quels autres répertoires lyriques aimeriez-vous aborder ?

Chez Verdi, j’aimerais clore la trilogie populaire, en faisant Il trovatore. Mais je suis également très intéressé par ses opéras français, particulièrement Jérusalem, Les Vêpres siciliennes, et bien sûr Don Carlos. Ce serait à nos maison de défendre tout ce répertoire, qu’il faudrait monter, peut-être pas nécessairement à l’Opéra de Paris, mais au Théâtre des Champs-Élysées ou au Châtelet – et la trilogie populaire aurait tout à fait sa place à l’Opéra Comique, voire à l’Opéra Royal de Versailles. Un autre de mes rêves serait de confronter Verdi et le Berlioz des Troyens, ou de Béatrice et Bénédict. Voilà qui aurait tout à fait sa raison d’être à La Côte-Saint-André ! Berlioz est, de toute façon, un de mes compositeurs préférés – le plus grand souvenir de mon passage à la Maîtrise de Radio France a été de participer à La Damnation de Faust dirigée par Colin Davis, avec Jessye Norman, à la  salle Pleyel. Wagner me passionnerait aussi, mais pour le mettre en regard avec Weber et Meyerbeer, ainsi qu’avec Gluck, afin de montrer tout ce queil leur doit. On a tendance à voir l’Histoire, y compris celle des arts, comme une marche continue vers ce qu’on pense être le progrès. Or, il existe, à mon sens, une filiation claire, qui va de Gluck à Wagner, Verdi compris. C’est peut-être en ce sens qu’on peut comprendre la fameuse phrase de ce dernier : « Torniamo all’antico : sarà un progresso » (revenons au passé : ce sera un progrès). 

Jérémie Rhorer © DR

Et comme chef lyrique sans le Cercle de l’Harmonie ?

Mon rêve absolu est Puccini. Il est la quintessence de l’expression lyrique, car il allie l’évidence mélodique à une maîtrise absolue de l’orchestration, avec un contrôle quasi organique de l’harmonie. Malheureusement, par tradition, on considère que ce répertoire ne peut être bien servi que par des chefs italiens. Un préjugé absurde, qui touche d’ailleurs aussi la musique russe. Mais je rêverais d’aborder Tosca, et plus encore Madama Butterfly  !

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

À voir :

Rigoletto de Giuseppe Verdi, avec le Chœur du Musikfest Bremen, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz – Isère, Liparit Avetisyan (Il Duca di Mantova), Dalibor Jenis (Rigoletto), Olga Peretyatko (Gilda), Alexander Tsymbalyuk (Sparafucile), Victoria Karkacheva (Maddalena), Ema Nikolovskia (Giovanna), Nicolas Legoux (Il Conte di Monterone), Dominic Sedgwick (Marullo), Yu Shao (Matteo Borsa), Leon Kozavic (Il Conte di Ceprano) et Julie Robard-Gendre (La Contessa), sous la direction de Jérémie Rhorer, au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, le 26 août 2022, et au MusikFest Bremen, le 28 août 2022.

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