Les cinq questions d'Opéra Magazine Adèle Charvet : « J’ai deux passions dans...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Adèle Charvet : « J’ai deux passions dans la vie : la musique et la nourriture »

18/04/2023
© Marco Borggreve

Depuis sa nomination en 2020 aux Victoires de la Musique Classique, dans la catégorie « Révélation Artiste Lyrique », Adèle Charvet continue de conquérir la scène lyrique. Après avoir donné naissance à une petite fille, la jeune mezzo-soprano redonne vie, dans un récital paru chez Alpha Classics, et récompensé par un Diamant d’Opéra Magazine, au répertoire du Teatro Sant’Angelo de Venise, fief de Vivaldi, mais aussi de ses contemporains oubliés Chelleri et Ristori.

Quelle est la chose la plus inhabituelle qu’un metteur en scène vous ait demandé de faire ?

Je n’ai, pour le moment, rien eu à faire de très extravagant. Je me souviens néanmoins qu dans Il barbiere di Siviglia, en 2020, à l’Opéra de Montpellier, le metteur en scène Rafael R. Villalobos m’a demandé de danser le flamenco sur une table, durant la leçon de musique. À cette occasion, il m’avait fallu prendre quelques heures de cours, afin d’acquérir les bases de la discipline. J’ai aussi dû chanter avec un tulle sur la tête dans Parsifal, au Capitole de Toulouse, où je faisais une des filles fleurs. C’était assez perturbant, encore qu’avec du recul, cela m’ait rappelé l’expérience de chanter avec un masque durant le Covid. C’était inconfortable, je détestais ma voix, mais je m’y étais habituée. Et lorsque nous avons pu les enlever, c’était assez bizarre : j’avais l’impression de chanter sans ma culotte ! Dans Roméo et Juliette, à l’Opéra-Comique, en 2021, j’interprétais le page Stéphano qui, dans la mise en scène d’Éric Ruf, était une jeune fille grimée en garçon pour pouvoir sortir la nuit et faire des bêtises. Je troquais donc ma robe sur scène, pendant mon air, pour une chemise et un pantalon.


Adèle Charvet (Rosina) dans Il barbiere di Siviglia de Rossini, mis en scène par Rafael R. Villalobos, à l’Opéra Orchestre National Montpellier. © Marc Ginot

Quel est le rôle de vos rêves – et dont il vaudrait mieux qu’il le reste ?

C’est une bonne question ! En étant mezzo-soprano, c’est pour moi un drame que de ne presque rien avoir à chanter chez Puccini, alors que je rêverais d’incarner Tosca, un des rôles les plus forts du répertoire. Certaines mezzos l’ont fait, mais ma voix n’a, pour le moment, rien de dramatique, pas plus que le côté laser, trompette. Le rôle de mes rêves est Charlotte, dans Werther, tant pour la dimension psychologique du personnage, que pour la beauté de la partition. Comme il exige de l’ampleur dans les graves et des aigus puissants, pour passer un orchestre gigantesque, je ne peux malheureusement pas y prétendre pour l’instant – et peut-être jamais. Un autre rôle qui me plairait beaucoup, et qui, cette fois, m’est accessible, est l’héroïne de Dido and Aeneas de Purcell, un des premiers disques que j’ai écouté enfant. Au point que je pourrais le chanter la tête à l’envers. À bon entendeur !

Comme souvent avec la musique de Berlioz, je me suis dit : « Je ne te comprends pas, Hector ! » Adèle Charvet

Quel est votre plus grand réconfort après une représentation ?

Manger ! Je dis toujours que j’ai deux passions dans la vie : la musique et la nourriture. C’est un moyen de prolonger le plaisir de la scène en faisant bonne chère, si possible avec des collègues, et sinon avec des amis, ou de la famille. Je ne mange pas un vrai plat avant une représentation mais seulement des snacks pour tenir. Le sommeil est aussi une « activité » que je chéris. Pour faire reset et passer à autre chose.

Pour l’étude de quelle partition qui vous a donné du fil à retorde auriez-vous aimé avoir le compositeur sous la main ?

Il y en a deux. La première est Pelléas et Mélisande. Plus on la travaille, plus on se rend compte qu’il y a des choses à comprendre. C’est infini. À chaque fois que j’avais l’impression d’ouvrir une nouvelle porte, je réalisais qu’il y en avait une nouvelle derrière. Parce que les personnages sont complexes, et l’écriture orchestrale tellement riche, foisonnante, grandiose… C’est seulement à la fin de la production, à l’Opéra de Rouen, que j’ai eu la sensation d’avoir compris quelque chose à l’œuvre, mais que je mettrais probablement des années à la comprendre complètement, que mon avis sur elle changerait constamment. La partition de Debussy, avec ses annotations, qui concernent uniquement les parties orchestrales, se trouve à la Bibliothèque musicale de Royaumont. La feuilleter a été très intéressant, et assez émouvant. La seconde œuvre est Benvenuto Cellini de Berlioz : comme souvent avec la musique de ce compositeur, je me suis dit : « Je ne te comprends pas, Hector ! » Il me donne souvent l’impression de ne pas vouloir aider les chanteurs : la prosodie n’est jamais commode, on voyage dans les grands extrêmes de la voix… Par exemple, alors que la tessiture d’Ascanio est à peu près la même que celle de Rosina (Il barbiere di Siviglia), elle paraît nettement plus large, avec un gros orchestre en dessous, et sans avoir l’aspect virevoltant de Rossini. J’ai trouvé cela très dur, et j’aurais aimé interroger Berlioz. J’aurais eu toute une liste de questions !


Nicolas Courjal (Golaud), Adèle Charvet (Mélisande) et Jean Teitgen (Arkel) dans Pelléas et Mélisande de Debussy, mis en scène par Éric Ruf, à l’Opéra de Rouen Normandie. © Arnaud Bertereau

Comment conciliez-vous vies professionnelle et familiale ?

C’est un sujet sur lequel je suis en perpétuel apprentissage. En effet, dès qu’un rythme s’installe, il est tout de suite perturbé par autre chose. L’enjeu est double : concilier une vie professionnelle où aucune semaine ne se ressemble, et le développement d’un nourrisson qui a, au contraire, besoin de routine. J’ai eu la chance de reprendre le travail très tôt après l’accouchement – cinq semaines après, exactement –, mais avec une immense envie de chanter. Cela m’a permis de ne pas avoir de culpabilité, parce que j’avais besoin de renouer avec cette partie de moi-même, tout en ayant une vie personnelle très épanouie avec ma fille, mon compagnon et ma famille. Être serein à tous les niveaux aide beaucoup, bien qu’il faille une organisation folle, et des ressources, aussi. En production, je pars avec ma fille et une nounou merveilleuse, ou avec mon compagnon, lorsque son emploi du temps le lui permet. La question n’est pas de savoir quoi faire de son bébé quand on voyage, mais d’arriver, dans ces situations, à trouver un équilibre et à être une famille, même loin de chez soi.

Propos recueillis par MAXIME PIERRE

Retrouvez la critique du récital Teatro Sant’Angelo.

À voir :

Orlando furioso d’Antonio Vivaldi, avec Carlo Vistoli (Orlando), Ana Maria Labin (Angelica), Marie-Nicole Lemieux (Alcina), Margherita Maria Sala (Bradamante), Adèle Charvet (Medoro), Filippo Mineccia (Ruggiero), et Luigi De Donato (Astolfo), sous la direction de Jean-Christophe Spinosi, au Théâtre des Champs-Élysées, le 25 mai 2023.

Grisélidis de Jules Massenet, avec Vannina Santoni (Grisélidis), Frédéric Antoun (Alain), Thomas Dolié (le Marquis), Tassis Christoyannis (le Diable), Antoinette Dennefeld (Fiamina), Adèle Charvet (Bertrade), Thibault de Damas (le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaud), sous la direction deJean-Marie Zeitouni, à l’Opéra Orchestre National Montpellier, le 2 juin 2023, et au Théâtre des Champs-Élysées, le 4 juillet 2023.

À écouter :

Teatro Sant’Angelo, airs d’Antonio Vivaldi, Fortunato Chelleri, Giovanni Porta, Giovanni Alberto Ristori et Michelangelo Gasparini, avec Le Consort, Adèle Charvet (mezzo-soprano) et Théotime Langlois de Swarte (violon et direction), CD Alpha Classics.
À retrouver en concert à la Maison de la Radio et de la Musique, le 3 juin 2023.

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