Les cinq questions d'Opéra Magazine Ambroisine Bré : « Je me sens beaucoup plus l...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Ambroisine Bré : « Je me sens beaucoup plus libre depuis que je m’autorise à me tromper »

28/02/2023
© Gilles Kneusé

La mezzo française aurait-elle placé sa jeune carrière sous les auspices des poètes dramatiques du Grand Siècle ? Les frères Pierre et Thomas Corneille, d’abord, d’une Psyché à l’autre. Du premier, les vers mis en musique par Émile Paladilhe lui ont donné l’impulsion de son premier album, tandis que le second est l’auteur du livret de la tragédie lyrique de Lully, dont elle a gravé le rôle-titre, sous la direction de Christophe Rousset. À présent, c’est avec Racine et son Andromaque, adapté à l’opéra par Grétry, qu’Ambroisine Bré dialogue : de cette rareté absolue, elle incarne l’héroïne éponyme, à l’Opéra de Saint-Étienne.

Avez-vous des habitudes, un rituel avant d’entrer en scène ?

Je me suis longtemps accrochée à toute une série de petits rituels, pour ne pas fuir sous le coup du stress, ou affronter mes premières critiques, parfois acerbes. Ils me servaient de béquilles, pour me rassurer et me dire : « Tu as tout fait comme il faut, donc ça va bien se passer ». Mais cela ne se passait pas forcément bien – ou du moins, pas toujours comme prévu ! Maintenant, je sais que ce n’est pas grave, et que l’important est de donner les choses avec le plus de sincérité possible. Il m’est déjà arrivé d’interrompre un récital parce que j’avais fait une erreur. Cela fait rire le public, parce que cela nous rend plus humain. C’est ce qui fait la beauté du direct : une interprétation est d’autant plus réussie qu’elle est risquée,  on avance sur un fil. J’essaie donc d’être plus indulgente avec moi-même, et je remarque que je me sens beaucoup plus libre sur scène depuis que je m’autorise à me tromper. Dans la vraie vie, on ne sait pas ce qui va se passer, et c’est précisément ce qu’il faut retrouver sur scène !


Ambroisine Bré (Cherubino) dans Le nozze di Figaro de Mozart, mises en scène par Galin Stoev, avec la Co[opéra]tive, au Théâtre Impérial de Compiègne, en 2015. © Raphaëlle Mignot

Quelle est la production la plus sportive à laquelle vous ayez participé ?

Le nozze di Figaro de Mozart, avec la Co[opéra]tive ! Déjà parce qu’il y avait vingt-quatre représentations, ce qui est assez rare à l’opéra, mais aussi parce que la vocation de cette compagnie est de se produire devant un public qui n’a pas forcément l’occasion d’y aller. On changeait régulièrement de lieu, et donc d’acoustique. C’était assez sportif. Et puis, Cherubino est un rôle physiquement très exigeant, parce qu’il court partout, comme souvent les pages d’ailleurs, et j’avais perdu pas mal de poids. Heureusement que j’étais en baskets la plupart du temps ! Mais je retiens surtout l’évolution de mon personnage au fil de la tournée. Au début, je me souviens que j’étais assez confiante. Mais à partir de la sixième date, j’ai été assaillie par un trac immense, au point d’en oublier mes paroles. Je balbutiais les mots comme si je les découvrais, et je me suis dit : « Ça doit être ça, trouver le personnage ! ». Puis il y a eu cette phase où j’ai eu le sentiment qu’il m’échappait à nouveau. Je l’ai tellement cherché que j’ai grossi le trait, jusqu’à ce que je comprenne que c’était inutile : je n’avais plus d’effort à faire, il s’était simplement installé en moi. 

Pour quel rôle seriez-vous prête à changer de sexe ?

Je crois que j’aurais bien aimé être Don Giovanni. C’est un personnage odieux, puant de confiance en lui, qui se sert des autres… Il paraît trop extrême pour pouvoir exister. J’aimerais bien entrer dans sa peau par curiosité. Comme on ouvre une boîte de bonbons et qu’on en goûte un, pour être sûr qu’on ne l’aime pas, la scène offre l’occasion d’incarner quelqu’un qu’on ne sera jamais, et donc de le comprendre un peu mieux. Je trouve le schéma du personnage incroyable, et l’œuvre en elle-même est monumentale. Je suis assez sensible à sa dimension spirituelle, d’autant que j’ai reçu une éducation plutôt catholique, et que j’ai appris que nos actions terrestres déterminaient  notre vie après la mort. J’imagine qu’à l’époque, ce devait être assez révolutionnaire de présenter un personnage aussi subversif que Don Giovanni, qui n’a aucun principe, aucune moralité. Le public a dû être assez secoué devant tant de transgression ! Sans dire que j’ai une vie bien rangée, j’aime aussi la scène parce que c’est l’endroit où tout est permis.

J’ai été très frappée par la sensibilité presque animale de Gérard Depardieu. Ambroisine Bré

Quel est le timbre – vocal ou instrumental – qui vous émeut aux larmes ?

C’est un choix difficile, mais le violoncelle me touche beaucoup.  Son timbre chaleureux et enveloppant est assez proche de la voix humaine, et particulièrement de celle de mezzo-soprano. Et je trouve l’instrument en lui-même très séduisant : le fait de l’avoir entre les jambes, c’est très sensuel ! Petite, j’aimais bien les Suites de Bach pour violoncelle seul… Ce qui pourrait paraître barbant pour certains me transporte. Peut-être le matériau influence-t-il aussi mon choix : le bois est une matière noble, que j’aime énormément. Je me ressource beaucoup en forêt, cela nourrit vraiment mon chant. Je suis très sensible aux sons que l’on trouve dans la nature : le chant des oiseaux – enfant, je trouvais que leurs trilles ressemblaient à ceux de Mado Robin –, le vent qui souffle dans la cheminée… c’est une voix à part entière qui me transporte. 


Ambroisine Bré (Lazuli) et Anara Khassenova (Laoula) dans L’Étoile de Chabrier, mise en scène pra Jean-Philippe Desrousseaur, à l’Atelier Lyrique de Tourcoing.
© Simon Gosselin

De quel compositeur auriez-vous aimé être l’amie, la muse, l’interprète fétiche ? 

Ravel. Je me suis toujours sentie très proche de ce compositeur. C’était quelqu’un de très solitaire, qui aimait la nature, et je me retrouve beaucoup en lui. Sa musique me transcende vraiment : elle est intemporelle, et me console. Quand je l’écoute, j’ai l’impression de faire une balade en forêt. Oui, j’aurais adoré être parmi ses intimes, dans son salon, ne serait-ce que pour l’observer de loin. J’aime bien les personnages un peu ours – comme Gérard Depardieu, avec qui j’ai eu la chance de collaborer pour mon disque, Psyché. J’ai été très frappée par sa sensibilité presque animale. Le moindre son, le moindre parfum, rien ne lui échappe. Sa perméabilité au monde environnant m’a vraiment bouleversée. Et c’est la raison pour laquelle j’ai fait appel à lui pour incarner la voix de l’Oracle. J’ai été très touchée qu’il accepte. Je ne suis qu’une jeune artiste, c‘était mon premier album, sur lequel je travaillais depuis cinq ans… Jamais je n’aurais cru travailler un jour avec Gérard Depardieu. C’était un peu la cerise sur le gâteau !

Propos recueillis par AMALIA LAMBEL

À voir :

Andromaque d’André-Ernest-Modeste Grétry, avec Ambroisine Bré (Andromaque), Marion Lebègue (Hermione), Sébastien Guèze (Pyrrhus) et Yoann Dubruque (Oreste), sous la direction de Giulio Prandi, et dans une mise en scène de Matthieu Cruciani, à l’Opéra de Saint-Étienne, du 8 au 12 mars 2023.

À écouter :

Psyché de Jean-Baptiste Lully, avec Les Talens Lyriques, Bénédicte Tauran (Vénus), Eugénie Lefebvre (Flore, Cidippe), Cyril Auvity (Vertumne, L’Amour, Mercure), Fabien Hyon (Palémon, Zéphire, Bacchus), Ambroisine Bré (Psyché, La Femme affligée), Deborah Cachet (Aglaure), Robert Getchell (Vulcain), Anas Séguin (Le Roy, Lychas, Momus, Le Dieu d’un fleuve), Matthieu Heim (Mars), Philippe Estèphe (Jupiter) et Zachary Wilder (Apollon), sous la direction de Christophe Rousset, 2 CD Château de Versailles Spectacles CVS 086 (Diamant d’Opéra Magazine).

Psyché, mélodies et airs d’André Caplet, Émile Paladilhe, Claude Debussy, Hector Berlioz, Gabriel Fauré, Charles Gounod, etc., avec Ambroisine Bré (mezzo-soprano), Julien Dran (ténor), Gérard Depardieu (récitant), le Quatuor Hanson, Mathilde Calderini (flûte), Anaïs Gaudemard (harpe) et Ismaël Margain (piano), CD Lyrides.

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