Les cinq questions d'Opéra Magazine Aude Extrémo : « Nous sommes tous pétris de co...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Aude Extrémo : « Nous sommes tous pétris de contradictions passionnantes à explorer sur scène »

20/01/2023
© Cassiana Sarrazin

Fricka toute de cuir rouge vêtue, Aude Extrémo n’avait aucun mal à tenir tête, pour sa prise de rôle à l’Auditorium de Bordeaux, au Wotan pourtant chevronné d’Evgeny Nikitin. Cette deuxième étape d’un parcours wagnérien initié avec Vénus, dans la version française de Tannhäuser, en appelait assurément d’autres. Sa première Brangäne a pour cadre la production événement de Tristan und Isolde, mise en scène par Tiago Rodriges, à l’Opéra National de Lorraine. Rencontre avec une mezzo de feu et d’airain.

Avez-vous des habitudes, un rituel avant d’entrer en scène ?

Je n’ai pas vraiment de rituel, mais j’aime prendre mon temps, afin d’être totalement concentrée sur scène. J’arrive assez tôt au théâtre pour chauffer ma voix, manger et être maquillée. J’aurai, dans Tristan und Isolde, tout le loisir de prendre mon temps. Je ne sais rien pour l’instant* de la mise en scène de Tiago Rodrigues, mais je me prépare à un personnage revenant très souvent tout au long de l’opéra. J’aime ces rôles qui s’étendent sur la durée, où je ne donne pas tout d’un seul coup, et dont il m’est possible de me retirer. Ils sont écrits pour que le chanteur puisse s’approprier sa voix du jour, tout en découvrant à chaque fois des choses nouvelles. Brangäne atteint, en effet, des notes assez aiguës, mais en redescendant toujours vers le grave, ce qui permet de récupérer. Il s’agit de mon troisième opéra de Wagner, après Vénus dans la version française de Tannhäuser, et Fricka (Die Walküre). Chacun de ces ouvrages m’oblige à être inventive afin de respecter son phrasé particulier, tout en trouvant de nouvelles couleurs. C’est pourquoi il m’est essentiel d’avoir du temps.


Aude Extrémo (Vénus) dans Tannhäuser de Wagner à l’Opéra de Monte-Carlo en 2017. © Alain Hanel

Quel est votre plus grand réconfort après une représentation physiquement et émotionnellement exigeante ?

J’ai besoin de rester avec mes collègues et d’aller manger, car une représentation de cette force me donne faim. J’éprouve avant tout la nécessité de ne pas rester seule, et il me serait impossible de rentrer chez moi et de dormir, plusieurs heures s’avérant indispensables pour évacuer l’adrénaline et toute cette joie d’avoir su relever un tel défi sur scène. Si mon mari peut être à mes côtés, ou si je reçois un retour positif sur ma prestation, alors c’est l’extase ! Certaines productions demandent davantage de confiance que d’autres, surtout s’il s’agit d’une prise de rôle ou d’un nouveau théâtre ; on a alors besoin de se sentir plus entouré. Le personnage de Brangäne me semble, pour l’instant, assez évident pour ma voix, mais il constitue aussi un véritable challenge. Les opéras de Wagner induisent, en effet, un investissement total, et une manière de chanter qui prend tout le corps.

Nous ne maîtrisons pas le désir, ni l’émotion que nous provoquons chez les autres. Aude Extrémo

De quel rôle de votre répertoire vous sentez-vous la plus proche ?

Chaque rôle trouve toujours des résonances avec ce que je suis. C’est ainsi que je sens monter une forme d’insolence en chantant Carmen. Je n’ai également aucun mal à comprendre Fricka, déesse devenant humaine, avec ce mélange de  douleur et de sensualité, lorsqu’elle se dispute avec Wotan. Les paradoxes et l’enchevêtrement des sentiments de Dalila me touchent aussi énormément. Brangäne est un ange d’amitié, complètement dévoué à l’autre. Il y a effectivement  dans une vie des moments où l’on est prêt à tout pour sauver une personne en train de se perdre.  Nous sommes multiples, et il me paraît assez évident de percevoir dans tous les personnages que l’on aborde des reflets de soi, même si ce n’est pas toujours flatteur. J’ai l’impression de m’emparer du rôle en cherchant en moi tout ce qui peut lui correspondre, plutôt que de m’identifier à un seul. 

À la création de quel opéra auriez-vous aimé participer ?

La création de Carmen a été un scandale, ce qui ne m’aurait pas déplu ! Il s’agit d’un rôle qui, d’emblée, a secoué tout le monde, et cela m’amuse de jouer ces figures totalement infréquentables. J’aurais cependant aimé être la première Dalila, dont le tempérament excessif me fascine. C’est aussi un personnage en marge de l’ordre établi, où la fragilité se mêle à l’autorité masculine en de troublants aigus dans une voix de contralto. J’adore incarner des êtres d’une telle dualité, qui finalement nous ressemblent. Nous sommes, en effet, tous pétris de contradictions passionnantes à explorer sur scène.


Aude Extrémo répète Brangäne dans Tristan und Isolde de Wagner, mis en scène par Tiago Rodrigues, à l’Opéra National de Lorraine.
© Amandine De Cosas pour Opera National de Lorraine

À quel projet regrettez-vous d’avoir dû renoncer ?

Je n’ai jamais dû refuser un projet qui me tenait à cœur, mais j’ai vécu une expérience insolite en incarnant ma première Carmen sur scène à l’Opéra de Monte-Carlo, en novembre 2020, alors que le reste du monde était confiné. Nous étions les seuls à jouer, devant un public inhabituel constitué de monégasques. J’étais cependant extrêmement heureuse de ce spectacle singulier. Nous avons le pouvoir d’accepter ou de renoncer, de travailler au mieux pour faire vivre nos personnages, mais tout le reste nous échappe. Nous ne maîtrisons pas le désir, ni l’émotion que nous provoquons chez les autres, pas plus que nous n’avons de pouvoir sur notre corps, qui peut tomber malade et nous empêcher de chanter. C’est pourquoi je m’efforce de bannir toute idée de regret. Il nous arrive d’avoir deux propositions – cela fait partie du métier –, mais il faut savoir lâcher prise et accepter ce qui nous est offert. Au début de mon itinéraire, j’aimais chanter des opéras de Rossini, formidables pour la souplesse de la voix, mais je ne m’étais pas forcément imaginée aborder si vite du Wagner. C’est en faisant confiance à ce qui arrive que l’on peut se surprendre, en empruntant parfois des chemins auxquels on n’avait pas songé.

Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT

*L’interview a été effectuée le 9 décembre 2022.

À voir :

Tristan und Isolde de Richard Wagner, avec Samuel Sakker (Tristan), Jongmin Park (König Marke), Dorothea Röschmann (Isolde), Scott Hendricks (Kurwenal) et Aude Extrémo (Brangäne), sous la direction de Leo Hussain, et dans une mise en scène de Tiago Rodrigues, à l’Opéra National de Lorraine, du 29 janvier au 10 février 2023, et au Théâtre de Caen, les 31 mars et 2 avril 2023.

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