Les cinq questions d'Opéra Magazine Lenneke Ruiten :  « Mozart fait presque p...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Lenneke Ruiten :  « Mozart fait presque partie de ma famille »

27/05/2022
© Simon Van Rompay

Volontiers décalées, mais jamais saugrenues, parfois impertinentes, quoique dans les limites de la décence, sérieuses, aussi, quand il le faut, nos cinq questions se proposent de guider les artistes qui se prennent au jeu sur la voie de l’autoportrait lyrique… et plus encore ! Mozartienne de cœur, et d’exception, belcantiste hautement inflammable, ou encore Alcina funambule, Lenneke Ruiten se dévoile, à l’approche de sa première Marguerite de Valois, dans Les Huguenots de Meyerbeer, à la Monnaie de Bruxelles.

Lequel de vos personnages détesteriez-vous dans la vraie vie ?

Cela me fait mal au cœur, car j’interprète ce rôle de toute mon âme, mais très certainement Alcina. Malgré l’humanité que j’ai essayé de trouver en elle, sa malhonnêteté continue vraiment de me déranger. Bien sûr, elle n’est pas la seule à mentir dans cet opéra : tout le monde prétend être quelqu’un d’autre, mais à la fin, elle se place en victime de tous les événements. C’est pourtant elle qui a créé le plus de souffrances, et détruit le plus de vies ! Alcina change les hommes en animaux, en ruisseaux ou en rochers. Elle demande à Oberto de tuer un lion, sans lui dire qu’il s’agit de son père. Elle écarte toutes les personnes qui voient clair dans son jeu, et sur lesquelles elle n’a plus d’emprise. J’aime les personnages complexes et les esprits tourmentés, mais je ne supporte pas les manipulateurs qui se font passer pour des victimes.

Lenneke Ruiten dans le rôle-titre d’Alcina de Haendel à l’Opéra de Lausanne © Jean-Guy Python

Dans quel théâtre aimeriez-vous rester enfermée seule toute une nuit – pour y dialoguer, peut-être, avec de glorieux fantômes ?

Plutôt que dans un théâtre, ce serait dans la maison natale de Mozart, à Salzbourg. Parce que j’aurais vraiment aimé le rencontrer quand il était tout jeune, avant les « grandes choses ». Pour connaître les racines et les passions de ce petit garçon, le voir jouer, l’entendre parler. Ma carrière est fondée sur son œuvre, il est ma grande passion musicale. Quand j’étais enfant, je me sentais déjà profondément amoureuse du personnage et du compositeur, et il s’est accroché à ma vie pour toujours. J’ai prénommé mes enfants d’après lui. Il fait donc presque partie de ma famille ! Je suis déjà allée dans cette maison plusieurs fois, pour y déambuler, voir les pièces, toucher les murs. On peut déjà imaginer quelques scènes domestiques, ressentir quelques traits de sa personnalité. J’aimerais peut-être même y passer plus d’une nuit, seule, pour y ouvrir tous mes sens. Qui sait si je ne pourrais pas en savoir plus, ou recevoir quelques signes !

Par quel réalisateur de cinéma rêveriez-vous d’être mise en scène dans un opéra ?

J’adore le cinéma, mais je n’y vais malheureusement presque jamais, par manque de temps. J’ai beaucoup regardé la version longue de la trilogie The Lord of the Rings (Le Seigneur des anneaux, 2001-2003), seule avec du thé, du vin, et un plaid. Je n’aimerais cependant pas être mise en scène par Peter Jackson, dans l’univers de Tolkien, car j’ai déjà suffisamment porté de robes d’elfes jusqu’à maintenant ! S’il me fallait choisir un cinéaste, ce serait Thomas Vinterberg, du mouvement danois Dogme95. Dans Festen (1998), il a cette façon de filmer comme si la caméra était un personnage. Il porte jusqu’au bout, et avec beaucoup de sincérité, le sujet très grave des violences sexuelles d’un père sur ses enfants. La performance des acteurs va bien au-delà du jeu. Cette vision, c’est exactement ce que je recherche à l’opéra, d’autant que je travaille souvent sous l’œil de la caméra aujourd’hui. La façon dont les voix s’assortissent entre elles m’intéresse aussi beaucoup, notamment lors des premiers filages, et je pense qu’une approche comme celle de Thomas Vinterberg pourrait créer de nouvelles combinaisons.

Aller au marché pour acheter des aliments bio, locaux et de saison me rend profondément heureuse. Lenneke Ruiten

Quel est le pire imprévu auquel vous ayez dû faire face sur scène ?

Pour mes débuts à la Scala, en février 2015, je chantais Giunia dans Lucio Silla de Mozart. J’entrais en scène sur un court récitatif, qui correspondait à une dispute avec le ténor. Il devait me gifler, et moi, tomber, le tout de façon chorégraphiée. À la première, il était assez stressé, et m’a frappée si fort – par accident – que je me suis effondrée sur les côtes, juste avant mon aria. Je ne pouvais plus respirer, et me tordais de douleur. J’aurais dû me lever, et faire comme si de rien n’était, mais je n’arrivais même pas à me mettre à genoux. J’ai essayé de retrouver l’équilibre pendant l’introduction, en m’accrochant à un miroir. Quand l’air a commencé, la douleur est partie peu à peu, et j’ai pu chanter de moins en moins contrainte. C’était un cauchemar, et le ténor s’est senti très mal… Après la représentation, j’ai dit au metteur en scène que j’étais désolée. Il a rétorqué que cette scène n’avait jamais été aussi réussie !

Lenneke Ruiten (Giunia) dans Lucio Silla de Mozart à la Monnaie © Bernd Uhlig

Que préférez-vous faire quand vous ne chantez pas ?

J’aime vivre simplement. Je suis passionnée de santé, de beauté et de nature. J’adore le jardinage, et je suis folle de Pilates. Aller au marché pour acheter des aliments bio, locaux et de saison me rend profondément heureuse. Ensuite, je prends plaisir à dénicher des recettes pour cuisiner, et partager ces bons produits avec les gens que j’aime. J’apprécie aussi beaucoup la marche et le cyclisme. Tous les sports m’aident à mieux chanter. Ce mode de vie sain me permet de me sentir bien, en paix avec mon âme. C’est l’autre facette de ma vie de voyages et de travail. Faire des tournées dans dix pays à la suite n’est de toute façon pas très bon pour la santé, et la voix. Aujourd’hui, on n’a pas plus besoin de cela. Les directeurs pourraient très bien trouver des talents près de chez eux. Pourquoi ce qui vient d’ailleurs serait-il meilleur, ou plus intéressant ?

Propos recueillis par THIBAULT VICQ

À voir :

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, avec Lenneke Ruiten (Marguerite de Valois), Karine Deshayes (Valentine), Ambroisine Bré (Urbain), Enea Scala (Raoul de Nangis), Alexander Vinogradov (Marcel), Nicolas Cavallier (Le Comte de Saint-Bris), Vittorio Prato (Le Comte de Nevers), Yoann Dubruque (De Retz), sous la direction d’Evelino Pidò, et dans une mise en scène d’Olivier Py, à la Monnaie de Bruxelles, du 12 juin au 2 juillet 2022.

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