Les cinq questions d'Opéra Magazine Pretty Yende : « Quand j’écoute Maria Cal...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Pretty Yende : « Quand j’écoute Maria Callas, tout en moi est secoué » 

24/06/2022
Pretty Yende
© Elena Cherkashyna

Paris l’a découverte en Rosina d’Il barbiere di Siviglia de Rossini, et sitôt adoptée, pour mieux savourer la primeur de ses Traviata et Manon. Avant son retour à l’Opéra Bastille, à l’automne, dans Die Zauberflöte de Mozart, Pretty Yende retrouve Adina de L’elisir d’amore de Donizetti, pour une seule nuit d’été, aux Chorégies d’Orange.

Dans quel rôle vous imaginez-vous faire vos adieux à la scène ?

Je ne veux pas faire mes adieux, je commence à peine ! Norma se prêterait bien à une telle circonstance, je suppose. Étant donné le répertoire que j’ai abordé jusqu’à présent, il est très probable que je chante ce rôle dans le futur, quand le bon moment sera venu. C’est l’un de mes préférés. Pour la musique, le personnage, les grandes interprètes du passé qui l’ont incarné. Et aussi parce que mon vœu est d’atteindre le sommet du parcours dans le bel canto – qui, de toute évidence, est Norma. Mais il est trop tôt pour me laisser tenter. Je ne veux pas gâcher le voyage qui me mènera jusqu’à l’étude de cette partition.

Pretty Yende (Norina) dans Don Pasquale de Donizetti au Palais Garnier ©Sébastien Mathé

Vers quoi – ou qui – vous précipitez-vous après une représentation ou un concert ?

Un verre d’eau. Et Netflix, dès que j’arrive dans mon appartement ou ma chambre d’hôtel, où que je me trouve ! Vers ma famille et mes amis, aussi, via Skype, pour leur raconter comment s’est passée la représentation. Bien sûr, la carrière que je mène peut être solitaire. Mais la plupart du temps, j’apprécie le silence et la quiétude, après avoir été liée à plusieurs milliers d’âmes, pour toute une série de représentations, qui affichent généralement complet. Donner jusqu’à la moindre parcelle de vie à chaque spectateur est vraiment quelque chose d’énorme. C’est pourquoi j’aime me retrouver au calme.

Quel est le timbre – vocal ou instrumental – qui vous émeut aux larmes?

À chaque fois que j’écoute Maria Callas, mon cœur, mon âme, tout en moi est secoué. Mais d’une bonne façon : celle qu’elle avait d’émouvoir par sa musicalité et ce timbre absolument unique. Notre langue n’a pas assez de mots pour l’expliquer. Même si elle était présente physiquement, ce qu’elle faisait de ses dons était d’un autre monde. J’ai entendu cette voix pour la première fois en regardant un film. Elle chantait « La mamma morta » (Andrea Chénier) de Giordano, dans Philadelphia (1993) de Jonathan Demme. Puis j’ai appris qui était Maria Callas.

Pretty Yende (Amina) dans La sonnambula de Bellini au Théâtre des Champs-Élysées © Vincent Pontet

Quel opéra avez-vous toujours trouvé ennuyeux ?

Pour moi, les opéras en anglais sonnent faux. À l’école, j’ai chanté mon tout premier rôle intégral dans A Midsummer Night’s Dream de Britten. J’attendais ce moment avec une telle impatience que j’ai eu l’impression d’être punie. Ils avaient choisi un ouvrage dans cette langue qui, en plus de ne pas me plaire, est difficile à chanter. Quelle torture !

Sous la direction de quelle légende de la baguette auriez-vous aimé vous produire ?

Claudio Abbado. J’aurais adoré travailler avec lui. Il semble si sensible, et en même temps si fort. Connaissez-vous cette vidéo où il répète le Requiem de Verdi avec Montserrat Caballé ? Elle n’arrête pas de se tromper, mais tous les deux éclatent de rire devant l’orchestre. À chaque fois que je regarde cette séquence, je me dis que d’autres chefs auraient perdu patience, ou fait une scène. Le fait que cela arrive aux plus grands parmi les grands rend cet incident tellement humain. On peut être guidé par un chef, parce qu’en fin de compte, c’est lui qui tient la barre. Mais quand on arrive, dans la collaboration, à un point où la confiance est telle qu’un dialogue s’instaure de musicien à musicien – et cela compte d’autant plus pour moi que je suis généralement la plus jeune dans la pièce, même si c’est désormais moins le cas –, on sait que, quoi qu’il se passe pendant la représentation, il sera là pour vous rattraper, et faire en sorte que vous donniez le meilleur de vous-même.

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

À voir :

L’elisir d’amore de Gaetano Donizetti, avec les Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte-Carlo, l’Orchestre philharmonique de Radio France, Pretty Yende (Adina), Francesco Demuro (Nemorino), Andrzej Filończyk (Belcore), Erwin Schrott (Dulcamara), Anna Nalbandiants (Giannetta), sous la direction de Giacomo Sagripanti, et dans une mise en scène d’Adriano Sinivia, aux Chorégies d’Orange, le 8 juillet 2022.

Récital Bellini, Donizetti, Rossini, Liszt…, avec Pretty Yende (soprano) et Vincenzo Scalera (piano) au Festival Idéal au Potager du Roi, le 12 juillet 2022.

Die Zauberflöte de Wolfgang Amadeus Mozart, avec René Pape (Sarastro), Mauro Peter (Tamino), Martin Gantner (Sprecher), Caroline de Wettergreen (Königin der Nacht), Pretty Yende (Pamina), Huw Montague Rendall (Papageno), Tamara Bounazou (Papagena), Michael Colvin (Monostatos), sous la direction d’Antonello Manacorda, et dans une mise en scène de Robert Carsen, à l’Opéra national de Paris, du 17 septembre au 13 octobre 2022 (et jusqu’au 19 novembre avec une autre distribution).

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