Mon premier… Anaïk Morel : ma première Brangäne 
Mon premier…

Anaïk Morel : ma première Brangäne 

17/02/2023
© Ruth Kappus

Le Théâtre du Capitole de Toulouse reprend, du 26 février au 7 mars, Tristan und Isolde de Wagner, dans la production de feu Nicolas Joel. À l’exception de Matthias Goerne, qui a déjà approché le Roi Marke – en concert, certes, et au deuxième acte seulement –, après avoir incarné Kurwenal, l’ensemble de la distribution effectue des prises de rôles. De Munich à Toulouse, Anaïk Morel retrace le chemin qui la mène aujourd’hui à sa première Brangäne.

« Je suis venue tard à Wagner, dont l’univers m’a paru longtemps inaccessible. C’est pendant mes années à l’Opéra Studio de Munich que j’ai commencé à me plonger dans sa musique. J’ai vu le Ring au Bayerische Staatsoper, et cela a été un tel choc que j’ai racheté des billets pour un deuxième cycle. Je m’estime heureuse, d’ailleurs, car il y a peu d’endroits au monde, à part Bayreuth peut-être, qui permettent d’aborder ce compositeur dans des conditions aussi optimales. J’ai été bouleversée par la puissance émotionnelle de l’œuvre, par ce qu’elle demande à chacun de puiser au fond de soi. À la fin de mes années en Bavière, on m’a proposé les Wesendonck-Lieder, au Festival d’été. J’ai alors alors mesuré comment mon corps répondait à cette musique. Puis j’ai chanté Schwertleite, la plus grave des huit Walkyries, à la Scala de Milan avec Daniel Barenboim, puis Kent Nagano, de retour à Munich. C’était tellement exaltant d’être un rouage, même modeste, de la grande machine du Ring


Werner Van Mechelen (le Maître de musique) et Anaïk Morel (le Compositeur) dans Ariadne auf Naxos de Strauss, mis en scène par Michel Fau, au Théâtre du Capitole de Toulouse.
© Cosimo Mirco Magliocca

Brangäne à Toulouse sera mon entrée dans le monde des adultes wagnériens, car je n’ai plus touché à ce répertoire depuis cette époque. J’ai abordé plusieurs opéras de Strauss dans l’intervalle, et même si ce n’est pas tout à fait comparable, j’ai vécu comme un tremplin de chanter le Compositeur d’Ariadne auf Naxos et Octavian, dans Der Rosenkavalier. Quand Christophe Ghristi m’a proposé d’intégrer la reprise de Tristan und Isolde au Théâtre du Capitole, je me suis demandé dans un premier temps ce que je pouvais apporter à cette œuvre, qui a connu d’immenses incarnations.

J’ai d’abord ouvert la partition et étudié le livret. L’allemand avait beau être ma première langue étrangère, vivre à Munich plusieurs années m’a permis de le parler couramment, ce qui facilite la tâche dans une musique où le verbe compte autant. Puis j’ai écouté beaucoup d’enregistrements, avec un petit faible, je dois l’avouer, pour Christa Ludwig – mon idole –, dirigée par Karl Böhm au Festival de Bayreuth, et Petra Lang, avec Christian Thielemann au Staatsoper de Vienne. J’ai tenu, en tout cas, à entrer dans le bain progressivement, pour que le défi ne me paraisse pas insurmontable. J’ai pris une année entière pour digérer les choses, les intégrer en profondeur.

Et le défi est aussi vocal, bien sûr. Car même si la technique de base doit rester proche de celle de Mozart, il faut engranger beaucoup plus de souffle et de volume. Mais je fais confiance à Christophe, qui fait partie des directeurs d’opéras qui sentent très bien le potentiel d’évolution des chanteurs. Pour moi, la difficulté principale, chez Wagner, est de diffuser l’effort en continu, de ne pas relâcher le corps ou l’attention un seul instant.


Anaïk Morel (Guinèvre) dans Lancelot de Joncières, mis en scène par Jean-Romain Vesperini, à l’Opéra de Saint-Etienne. © Cyrille Cauvet

Beaucoup de mezzos redoutent le début du deuxième acte. Le vrai défi, en ce qui me concerne, reste le premier, avec ses longues tirades qui ne laissent aucun répit. La scène de la torche est plus ramassée, c’est une succession d’interjections relativement brèves. Quant aux fameux appels, qui ont la réputation d’être écrits sur des notes avantageuses, on a beau être au-dessus du passage, la fluidité du son reste délicate quand on est hors champ. Brangäne est un personnage riche en ambiguïtés. C’est une confidente qui permet à Isolde d’exprimer tout ce qu’elle ressent, mais c’est elle qui fait le geste décisif avec l’interversion du philtre. Elle est le pendant de sa maîtresse, elle l’ancre dans la réalité. Ses peurs sont pragmatiques, elle est dans une lutte d’urgence. Il y a incompréhension avec Isolde, qui lui inspire un mélange de colère, de remords et d’instinct protecteur. 

La mise en scène très épurée de Nicolas Joel va nous permettre de nourrir les rôles, de faire aussi des choix qui nous seront propres, car le spectacle est remonté par Émilie Delbée, qui n’avait pas fait la création. Je suis impatiente de faire cette prise de rôle sur la scène du Capitole, l’une des maisons que je préfère : les voix s’y déploient si facilement, les dimensions du théâtre sont tellement idéales. Et puis il y un vrai public d’aficionados ! »

Propos recueillis par YANNICK MILLON

À voir :

Tristan und Isolde de Richard Wagner, avec Nikolai Schukoff (Tristan), Matthias Goerne (König Marke), Sophie Koch (Isolde), Pierre-Yves Pruvot (Kurwenal) et Anaïk Morel (Brangäne), sous la direction de Frank Beermann, et dans une mise en scène de Nicolas Joel, à l’Opéra National du Capitole de Toulouse, du 26 février eu 7 mars 2023.

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