Mon premier… Angélique Boudeville : ma première Leonore
Mon premier…

Angélique Boudeville : ma première Leonore

10/01/2023
© Cyril Cosson

Il est des voix qui peuvent, dès les prémices de la carrière, gravir des sommets, sans donner l’impression de brûler les étapes. Angélique Boudeville est de celles-ci, dont Richard Martet saluait, dans Opéra Magazine, les « remarquables moyens de grand soprano lyrique d’école française ». Elle incarne sa première Leonore, dans Fidelio de Beethoven, à l’Opéra de Nice. 

« En abordant Leonore, il me vient souvent à l’esprit cette citation de Victor Hugo : « La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux. » Je suis très touchée par cette figure de femme imaginée par un homme, qui change de sexe par amour. Il s’agit pour moi d’un grand défi car, n’étant pas mezzo, je n’ai pas l’habitude des rôles travestis. Comment restituer la vérité des émotions en renonçant à mes attraits féminins, et en évitant toute caricature d’un homme ? Je vais avant tout m’efforcer de montrer une femme courageuse et sensible, dont chaque parole, chaque mouvement a un double sens. 

Cet opéra débute en situation dans la prison. On ne sait rien, ni de l’arrestation de Florestan, ni de l’entretien d’embauche de Leonore. Pour elle, Fidelio n’est qu’un uniforme, qu’elle finit par incarner totalement en se nourrissant des épreuves qu’elle traverse. Elle gagne ainsi en confiance, découvrant sa nature profonde. Une grande part de mon travail consiste donc à conduire l’énergie du rôle tout au long de la représentation, en faisant voir cette évolution, restituée de façon géniale par l’écriture de Beethoven. Dès son récitatif, elle peut enfin cesser sa dissimulation, avant de laisser éclater sa colère dans son air, pour atteindre ensuite une vulnérabilité et un apaisement possibles.


Angélique Boudeville (Mathilde) dans Guillaume Tell de Rossini à l’Opéra de Marseille en 2021 © Christian Dresse

Je suis mariée depuis un an, et j’ai le sentiment de mieux comprendre la conscience qu’a Leonore de ce qu’elle-même représente, et sa peur de l’abandon. Les figures de Rachel, dans La Juive d’Halévy, et de Mathilde, dans Guillaume Tell de Rossini, que j’ai chantées récemment, sont une aide précieuse du point de vue du caractère, de la vocalité et du lyrisme. J’aborde chaque ouvrage avec précaution. Et ce nouveau rôle n’est tout de même pas du Wagner ; il s’inscrit dans une tradition mozartienne, et son écriture  induit de la précision et de la délicatesse. Les difficultés sont moins d’ordre vocal que psychologique, et je veux que la technique serve avant tout l’émotion et le sens.

J’ai puisé beaucoup d’inspiration dans le film Yentl (1983) de Barbra Streisand, où la protagoniste montre aussi ce que l’amour pousse à faire en son nom, en se métamorphosant en étudiant. Les héroïnes que je vais aborder ensuite sont assez proches de Leonore dans leur don d’elles-mêmes au profit de l’être aimé. Je vais notamment chanter Tosca, qui déploie un même potentiel sacrificiel en se dépouillant de tout. 

La mise en scène de Cyril Teste, qui sera jouée à Nice, repose sur des images vidéo réalisées en amont, ou projetées en direct. C’est ainsi que durant l’ouverture, on voit Leonore revêtir l’uniforme carcéral, tandis que je filme plus tard Pizarro en gros plan, pour donner à voir sa culpabilité au plus près. S’agissant d’une reprise, il n’est pas question de faire un copier-coller, et j’espère avoir la possibilité de créer quelque chose d’unique en étant moi-même. »

Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT

À voir :

Fidelio de Ludwig van Beethoven, avec Birger Radde (Don Fernando), Thomas Ghazeli (Don Pizarro), Gregory Kunde (Florestan), Angélique Boudeville (Leonore), Albert Dohmen (Rocco), Jeanne Gérard (Marzelline) et Valentin Thill (Jaquino), sous la direction de Marko Letonja, et dans une mise en scène de Cyril Teste, à l’Opéra de Nice, du 20 au 26 janvier 2023.

 

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