Mon premier… Catherine Trottmann : ma première Eliza Doolit...
Mon premier…

Catherine Trottmann : ma première Eliza Doolittle

13/12/2022
© Occurrence - Cyril Cosson

Alors qu’elle commençait à se faire remarquer au sein d’une florissante génération de mezzos françaises, Catherine Trottmann a décidé de gravir les quelques marches qui la séparaient de la tessiture de soprano. Avec le rôle d’Eliza Doolittle dans My Fair Lady, elle se mesure pour la première fois au genre de la comédie musicale, sur la scène de l’Opéra de Lausanne. Récit d’une métamorphose.

« Quand Éric Vigié, le directeur de l’Opéra de Lausanne, m’a proposé d’incarner Eliza Doolittle, j’ai d’abord été un peu intimidée : il est difficile de ne pas se poser la question de la légitimité face à un répertoire qui n’est pas le sien, et en l’occurrence, la comédie musicale de Broadway. Mais peu à peu, mes doutes se sont envolés. D’abord parce que, le spectacle n’étant pas sonorisé, il est nécessaire de faire appel à la technique lyrique pour passer l’orchestre. Et puis aussi parce que de grandes chanteuses lyriques, comme Kiri Te Kanawa et Diana Damrau, ont abordé ce rôle avant moi – ainsi que, dans ma génération, Julie Fuchs, ou encore Marie-Eve Munger.

Le plus difficile pour moi a été d’accepter que cette Eliza était tout sauf charmante. Catherine Trottmann

Sur le plan technique, j’essaierai d’avoir un son le plus proche possible de la voix parlée. C’est aussi le cas du chant lyrique quelque part, mais les rôles de comédies musicales sont souvent écrits dans le médium, ce qui permet d’avoir une vocalité plus naturelle, avec un peu moins de vibrato. D’ailleurs, le fait d’avoir été mezzo-soprano pendant plusieurs années est, sans doute, l’une des raisons pour lesquelles j’ai été engagée. Bien sûr, dès que la partition s’envole dans l’aigu, je retrouverai ma voix lyrique.

Le rôle d’Eliza Doolittle comporte plus de passages parlés que chantés. Le travail de préparation n’est donc pas du tout le même que pour un opéra, et l’apprentissage du texte est mon grand chantier du moment. Dans la version originale de My Fair Lady, Eliza change d’accent au cours de l’œuvre : au départ, elle parle avec un accent cockney à couper au couteau, tandis qu’à la fin, elle est devenue une vraie lady, qui s’exprime dans un anglais parfait. Or, dans la version que nous donnerons à Lausanne, les numéros chantés seront en langue originale, mais les dialogues, en français. La difficulté est donc double, puisque qu’il faudra non seulement passer d’une langue à l’autre de façon naturelle, mais aussi maîtriser non plus deux, mais quatre accents différents ! Je suis allée travailler le cockney avec un coach d’anglais, mais comme il n’en existe pas d’équivalent français, Jean Liermier, le metteur en scène, a décidé d’inventer un accent de toute pièce, à partir d’éléments divers de chti et de québécois – entre autres… Autant vous dire qu’en recevant le livret, j’ai complètement paniqué !


Marie-Eve Munger (Eliza Doolittle) dans My Fair Lady mis en scène par Jean Liermier à l’Opéra de Lausanne, en 2016 © Marc Vannapelghem

Et puis je n’ai jamais joué de personnage qui voyage autant du début à la fin de l’œuvre. Le plus difficile pour moi – et je ne l’avais pas très bien compris au début –, a été d’accepter que cette Eliza était tout sauf charmante. Jean Liermier insiste beaucoup pour que son atrophie du langage se traduise aussi physiquement : elle sera sûrement voutée, repliée sur elle-même. On est loin de la jeune première, fraîche et dispose. C’est vraiment une pauvre chose ramassée dans la rue, brute de décoffrage, qui deviendra une duchesse. Assez claire au cinéma, cette évolution me semble plus difficile à rendre sur scène, parce que la distance, au théâtre, ne permet pas de percevoir aussi bien toutes les expressions du visage. Bien sûr, j’ai vu le film de George Cukor, avec Audrey Hepburn, et je l’adore. C’est à la fois une grande source d’inspiration, et très intimidant. C’est pourquoi il faut réussir à s’en détacher. J’attends donc beaucoup du travail avec le metteur en scène pour construire ce personnage en profondeur.

Lorsque j’étais enfant, le monde de la comédie musicale me fascinait, et j’étais persuadée qu’il existait un pays où les gens dansaient dans la rue et s’exprimaient en chantant. Et voilà… grâce à la proposition aussi inattendue qu’enthousiasmante d’Éric Vigié, je vais avoir la chance de pouvoir y vivre pendant quelques semaines ! »

Propos recueillis par AMALIA LAMBEL

À voir :

My Fair Lady de Frederick Loewe, avec Catherine Trottmann (Eliza Doolittle), Nicolas Cavallier (Henry Higgins), Christophe Lacassagne (Colonel Pickering), Rémi Ortega (Alfred Doolittle), Shin Iglesias (Mrs. Pearce) et Julien Dran (Freddy), sous la direction de Roberto Forés Veses, et dans une mise en scène de Jean Liermier, à l’Opéra de Lausanne, du 21 au 31 décembre 2022.

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