Mon premier… David Hansen : mon premier Smeton
Mon premier…

David Hansen : mon premier Smeton

14/03/2023
© Thonje Thilesen

Longtemps cantonnés au répertoire baroque, les contre-ténors multiplient désormais les incursions dans des territoires divers. L’australien David Hansen fait partie de cette nouvelle génération, qui casse les codes en élargissant régulièrement son horizon vocal. Après Mozart, le chanteur aborde le bel canto avec Smeton d’Anna Bolena, dans Bastarda, spectacle conçu par Olivier Fredj d’après les opéras « Tudor » de Donizetti, à la Monnaie de Bruxelles.

« Il y a cinquante ans, la plupart des contre-ténors venaient d’Angleterre, où la tradition de ces voix hautes et angéliques avait été maintenue grâce aux chœurs. À cette époque on chantait sans vibrato : c’était très joli du point de vue du son, mais la technique enseignée ne permettait pas de varier les répertoires. C’est pourquoi les représentants de cette catégorie n’auraient jamais envisagé d’interpréter du bel canto. Mais grâce à une meilleure compréhension de ce registre, et à l’intervention de professeurs qui se sont intéressés à son potentiel, le travail a porté ses fruits, et d’une génération à l’autre, des artistes ont montré qu’ils pouvaient, eux aussi, aborder d’autres partitions. Aujourd’hui ce type de voix ne fait plus partie d’une niche, la technique vocale a fait un bond en avant, et un contre-ténor peut être aussi bien alto, que mezzo ou soprano.

On me demande souvent si les techniques de chant sont différentes pour restituer une partition mozartienne ou bel cantiste, mais je crois qu’il n’y en a qu’une, et qu’elle est universelle. Mon professeur a travaillé avec des artistes comme Barbara Bonney ou Anne Sophie von Otter, pour lesquelles il n’y a qu’une manière de bien chanter, et cela grâce à un enseignement strict basé sur la respiration, le soutien et la projection. À partir du moment où on a intégré ces éléments, on est armé pour toutes les musiques. À mes débuts, je pensais rester alto, et pourtant, avec de l’entraînement, j’ai pu aborder Nerone dans L’incoronazione di Poppea de Monteverdi, et découvrir que j’avais des facilités dans l’aigu. 


Rebecca Lauffer (une danseuse) et David Hansen (Smeton) pendant une répétition de Bastarda, à la Monnaie de Bruxelles. © Simon Van Rompay.
 

Avant de me confronter au répertoire belcantiste, avec Smeton d’Anna Bolena, j’ai incarné Sesto dans La clemenza di Tito, rôle que Mozart avait composé pour un castrat. Pendant longtemps la tradition a voulu que l’on confie ce personnage à des mezzos en travesti, faute de voix masculines capables d’assumer les aigus de la partition. Lorsque j’ai été approché, j’ai pris le temps de la réflexion, puis ai fini par accepter la proposition parce qu’elle venait d’un théâtre éloigné des scènes importantes, où la pression aurait été plus forte. Je voulais être certain que je pourrais être aussi bon, sinon supérieur à une femme, pour que cela en vaille vraiment la peine : avoir les notes ne suffit pas, il faut pouvoir apporter quelque chose en plus, une masculinité, un engagement, car je n’ai pas le même timbre qu’une mezzo confirmée, comme Marianne Crebassa. Le résultat a été probant,  et je l’ai repris cinq ans plus tard au Theater an der Wien. 

L’expérience m’a aidé à accepter la proposition du metteur en scène Olivier Fredj à la Monnaie, car c’est la première fois qu’un contre-ténor endosse le rôle de Smeton dans un grand théâtre européen – un signe pour l’avenir qui, il y a encore quelques années, était bouché. Succéder à des interprètes comme Jennifer Larmore ou Elīna Garanča, qui s’y sont illustrées, est très important pour moi. J’ai mis beaucoup de temps à apprendre cette musique, avant de me rendre compte que l’orchestration n’était pas trop lourde, et qu’après avoir incarné la Sorcière dans Hänsel und Gretel de Humperdinck, où elle est d’une puissance quasi wagnérienne, je pouvais chanter Smeton sans trop de risque. »

Propos recueillis par FRANÇOIS LESUEUR

À voir :

Bastarda, spectacle lyrique en deux parties d’après Anna BolenaMaria StuardaRoberto Devereux et Elisabetta al castello di Kenilworth de Gaetano Donizetti, avec Myrtò Papatanasiu et Francesca Sassu (Elisabetta), Salome Jicia (Anna Bolena), Lenneke Ruiten (Maria Stuarda), Raffaella Lupinacci (Giovanna Seymour et Sara), Enea Scala (Leicester), Luca Tittoto (Enrico), Sergey Romanovsky (Roberto Devereux) et David Hansen (Smeton), sous la direction de Francesco Lanzillotta, et dans une mise en scène d’Olivier Fredj, à la Monnaie de Bruxelles, du 21 mars au 16 avril 2023.  

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