Interview Robin Melchior : « Une œuvre inachevée es...
Interview

Robin Melchior : « Une œuvre inachevée est un véritable terrain de jeu et d’expérimentation »

27/01/2023
© William Beaucardet

Mozart n’a jamais terminé Zaide, qui ne saurait pourtant être réduit, par son sujet, son cadre, et son genre – le Singspiel , à une esquisse de Die Entführung aus dem Serail. Pour la nouvelle coproduction de l’Opéra de Rennes avec Angers Nantes Opéra, le compositeur-arrangeur Robin Melchior a recréé les parties manquantes. Secrets de fabrication.

Comment avez-vous réagi lorsqu’on vous a proposé de compléter la partition de Zaide, laissée inachevée par Mozart, et donc de vous glisser dans les pas du compositeur ?

J’ai été extrêmement motivé à l’idée de collaborer avec la metteuse en scène Louise Vignaud, le chef Nicolas Simon et les équipes des deux maisons sur ce projet d’un « nouveau » Zaide. La question de la cohérence entre l’œuvre d’origine et les parties à ajouter s’est immédiatement posée : valait-il mieux rester proche du style de Mozart, comme l’a fait Johann Anton André en 1866, ou écrire une musique plus libre, plus actuelle, en suivant l’exemple de Luciano Berio, en 1995 ? La seconde option m’a semblé pertinente, au regard de mon propre style, mais aussi, et surtout, par rapport aux choix de mise en scène de Louise, ainsi qu’au nouveau livret écrit par Alison Cosson, qui transposent l’histoire dans un tout autre contexte, celui d’une île presque déserte. Si la partition que j’ai écrite s’éloigne généreusement du style classique, le lien avec Mozart reste bien présent, par l’utilisation détournée de nombreux éléments rythmiques et mélodiques issus de la partition originelle.


Louise Vignaud et Robin Melchior lors d’une répétition de Zaide de Mozart à l’Opéra de Rennes. © Lilian Madelon

Quelles parties avez-vous dû composer, et sur quoi vous êtes-vous appuyé pour ce travail ?

J’ai composé un prélude instrumental, un interlude en forme de mélologue – alternant musique et texte –, et un finale chanté en allemand. Trouver le bon angle d’attaque pour démarrer ce travail d’écriture particulier m’a pris un certain temps. Je me suis immergé pendant plusieurs mois dans la musique de Mozart, pour m’imprégner de ses gestes instrumentaux, de sa dialectique musicale, et de son traitement mélodique du texte. Comme cette nouvelle version de Zaide démarre par une tempête sur la mer, je me suis également plongé dans toutes les partitions du répertoire symphonique susceptibles de m’inspirer : la Symphonie n°6 de Beethoven, La Mer de Debussy, Schéhérazade de Rimsky-Korsakov… Mais c’est sans doute le dernier des Four Sea Interludes from Peter Grimes de Britten qui m’a le plus frappé ; j’ai, en outre, trouvé une forme de continuité entre le personnage de Peter Grimes, dont le départ dans la tempête clôt l’œuvre, et Gomatz, dont l’échouage sur l’île de Zaide introduit l’histoire. Quant au finale, composer pour l’allemand a été un véritable défi : n’étant pas germanophone, j’ai dû me faire aider par une amie chanteuse allemande qui m’a donné de précieux conseils de prosodie.

John Williams, Steven Sondheim et Leonard Bernstein ne sont jamais très loin quand je compose. Robin Melchior

La metteuse en scène Louise Vignaud et Alison Cosson, autrice des dialogues parlés, proposent non seulement une recréation, mais aussi une relecture de Zaide…

Une œuvre inachevée est un véritable terrain de jeu et d’expérimentation. Zaide devient ici un conte philosophique, qui nous parle du rapport que l’on entretient à ce qui nous est étranger, de l’humanisme présent en chacun de nous, de liens fraternels… La relecture de Louise Vignaud et d’Alison Cosson laisse de côté le harem, les esclaves et l’orientalisme, éléments assez complexes à traduire sur un plateau aujourd’hui, pour nous emmener dans un lieu imaginaire où s’ouvre un immense champ des possibles. À l’instar de la mise en scène, la musique que j’ai composée entraîne l’auditoire dans un autre univers sonore : si l’on retrouve un certain nombre des « codes » de l’ouverture dans le prélude, le langage harmonique et l’écriture orchestrale matérialisent un ailleurs, lié au personnage d’Inzel, incarnation de l’île. Dans l’air final, l’émancipation de Zaide est le pilier autour duquel j’ai choisi d’axer la composition : liberté, indépendance, rejet de l’autorité, souffle de l’aventure, doutes et peurs qui persistent…

À quel public s’adresse cette production ?

À tout le monde ! Le spectacle devrait évidemment plaire à celles et ceux qui aiment Mozart, mais aussi aux amateurs et amatrices de création contemporaine et de mise en scène audacieuse, tout comme aux habitués du théâtre. Les fans de comédie musicale et de musique de film ne seront pas en reste, John Williams, Steven Sondheim et Leonard Bernstein n’étant jamais très loin quand je compose. Et il est indubitable que l’incroyable énergie dégagée par toutes les personnes réunies dans cet ambitieux projet emportera le public quel qu’il soit.


Une répétition de Zaide de Mozart à l’Opéra de Rennes. © Robin Le Blervet

Cette production vous a-t-elle donné envie de réaliser d’autres projets vocaux et lyriques ?

Cette expérience a été extrêmement enrichissante, des premières discussions avec Louise et Nicolas jusqu’aux répétitions avec l’orchestre, en passant par la phase de recherche, de conception, de composition, d’orchestration, d’édition, de rencontre avec les solistes… J’avais déjà composé, ou arrangé, des pièces vocales, mais jamais pour l’opéra. Il a donc fallu que je trouve comment inscrire mon travail dans une globalité, en dialogue avec la mise en scène, en accord avec le livret, en cohérence avec les rôles. La musique, à l’opéra, est au service d’un tout : je crois que cela demande au compositeur souplesse et humilité, et lui permet également de prendre un recul bénéfique sur son œuvre. C’est en tout cas ainsi que je l’ai vécu, et je serais ravi de renouveler l’expérience !

Propos recueillis par CLAIRE-MARIE CAUSSIN

À voir :

Zaide de Wolfgang Amadeus Mozart, nouvelle version complétée par Robin Melchior, avec l’Orchestre National de Bretagne, Kseniia Proshina (Zaide), Kaëlig Boché (Gomatz), Niall Andersson (Allazim), Mark van Arsdale (Soliman) et Marief Guittier (Inzel), sous la direction de Nicolas Simon, et dans une mise en scène de Louise Vignaud, à l’Opéra de Rennes, du 6 au 12 février 2023, et à Angers Nantes Opéra, du 26 février au 5 mars 2023.

À écouter :

Boléro de Maurice Ravel, dans un arrangement de Robin Melchior, couplé avec Les Noces d’Igor Stravinsky, avec l’Ensemble Aedes et Les Siècles, sous la direction de Mathieu Romano, CD Aparté AP300.

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