Opéras Ai Weiwei rate Turandot à Rome
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Ai Weiwei rate Turandot à Rome

06/04/2022

Teatro Costanzi, 31 mars

Le résultat, en vérité, importait peu. Les débuts – retardés de deux ans par la pandémie – d’Ai Weiwei dans la mise en scène lyrique suffisaient, en effet, largement à créer l’événement, dont l’impact s’est trouvé décuplé par la présence, sur le podium, d’Oksana Lyniv. Moins, pour une fois, parce que « cheffe » d’orchestre, que parce qu’ukrainienne, joignant les actes – symboliques, comme ce drapeau bleu et jaune noué à la ceinture – à la parole, pour dénoncer la guerre de Vladimir Poutine.

Et Turandot dans tout cela ? En 1987, alors qu’il vivait à New York, l’artiste et dissident chinois avait participé, comme figurant, à la création, au Met, de la production, désormais mythique, de feu Franco Zeffirelli. Expérience unique, qui ne l’a pas incité à explorer plus avant cette terra incognita qu’était alors pour lui – et demeure encore, à bien des égards – l’opéra. Face à l’invitation du Teatro dell’Opera de Rome, ce touche-à-tout souvent génial ne s’est pourtant pas défilé. Et le voici qui signe la mise en scène, les décors, les costumes et les vidéos d’un spectacle fourre-tout, dans lequel il compile, pour le meilleur et, surtout, pour le pire, une bonne partie de son œuvre.

De loin, le décor, qui fait aussi office d’écran, ressemble au grand escalier imposé par le livret et la tradition, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une carte du monde, censée « évoquer par certains aspects les ruines gréco-romaines ». Les costumes sont, quant à eux, assez délirants, qu’il s’agisse d’emprunter au bestiaire du zodiaque chinois, ou de coiffer les ministres, respectivement, d’un missile, de caméras de surveillance, et d’un doigt d’honneur – ce fameux « finger » décliné par Ai Weiwei sous diverses formes, depuis la photo prise sur la place Tiananmen, en 1995 –, mais aussi Turandot d’une araignée, aussi immaculée que son authentique robe de princesse insecte. Délesté, à la fin du premier acte, du crapaud géant qu’il portait sur le dos, Calaf ressemble d’autant plus à Amonasro que Liù semble tout droit sortie d’une Aida des années 1950.

C’est coloré, kitsch à souhait, et en totale contradiction avec le flux ininterrompu d’images projetées de la première à la dernière note, pour mettre le spectateur face à l’horreur du monde contemporain. Dans le désordre : les crises migratoires, les manifestations à Hong Kong et leur répression, les mesures anti-Covid prises à Venise, Paris et Rome, désertées par les touristes… Difficile de se souvenir de tout, quand le rapport avec l’intrigue de l’opéra est aussi ténu. Mais il faut bien occuper l’œil, quand il ne se passe strictement rien sur le plateau, en dehors de quelques séquences naïvement chorégraphiques.

Car Ai Weiwei a beau être une figure majeure de l’art conceptuel, il n’a pas reçu un matin, au réveil, le don, rare et recherché, de la direction d’acteurs. Mieux vaut, dès lors, qu’il n’essaie même pas de faire bouger les solistes davantage que les chœurs, dont le statisme empêche évidemment, au I, de distinguer la foule des gardes ou des serviteurs du bourreau.

Leur manque de cohésion n’en est que plus patent, d’autant qu’il n’épargne aucun pupitre. Avec ses cuivres et percussions disposés dans des loges latérales, l’orchestre fait bien meilleure figure, grâce à la baguette coloriste, aux accents parfois crus, d’Oksana Lyniv. Le sens de la narration fait néanmoins défaut à cette lecture, qui peine à imprimer un souffle continu à la représentation, achevée sur la mort de Liù.

Dans ce rôle certes gratifiant, mais qu’il n’est pas si fréquent d’entendre bien chanté, Adriana Ferfecka est une révélation. Par la qualité, la lumière du timbre, et la tenue assez miraculeuse des piani filés, dont le frémissement donne chair au suicide de la « petite esclave » de façon bouleversante.

« Princesse de glace », Ewa Vesin l’est assurément, en même temps que de feu. L’aigu tranche dans le vif, plein, ample, à l’instar d’une tessiture totalement maîtrisée, jusque dans des reliefs dynamiques limités par l’absence du finale d’Alfano.

La biographie d’Angelo Villari indique qu’il « s’est affirmé, ces dernières années, comme un interprète solide des rôles véristes ». Ni plus, ni moins. À l’image de son Calaf, dont la franche virilité, sinon la hardiesse, compense une relative matité – moins le défaut de ligne, surtout quand la raideur du registre supérieur le coupe net dans ses élans héroïques.

Si Alessio Verna finit par trouver le ressort de Ping, le reste de ces messieurs, à commencer par le Timur court et râpeux de Marco Spotti, est à oublier. Comme l’est, à l’aune de l’importance de son œuvre plastique, la tentative singulière, mais vaine, d’Ai Weiwei.

MEHDI MAHDAVI


© TEATRO DELL’OPERA DI ROMA/FABRIZIO SANSONI

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