Opéras Anna Netrebko de retour à Monte-Carlo
Opéras

Anna Netrebko de retour à Monte-Carlo

04/05/2022

Salle Garnier, 30 avril

Coup de tonnerre, à l’Opéra de Monte-Carlo, avec le remplacement impromptu de Maria Agresta, souffrante, par Anna Netrebko, en congé pour les raisons que l’on sait, dans cette coproduction de Manon Lescaut avec le Theater Erfurt, où la création a eu lieu, avec une distribution entièrement différente, en octobre 2021.

Le drapeau ukrainien, d’abord affiché au final, a disparu pour cette dernière des quatre représentations. Mais Anna Netrebko nous a bien permis de vérifier sa pertinence dans l’emploi, après la prise de rôle, à Rome, qui avait enthousiasmé Richard Martet (voir O. M. n° 94 p. 45 d’avril 2014), jusqu’au récent récital Verismo, chez Deutsche Grammophon, dont « Sola, perduta, abbandonata » constituait l’un des sommets (voir O. M. n° 178 p. 93 de novembre 2021), en passant par le concert du 7 août 2016, à Salzbourg, publié chez le même éditeur (voir O. M. n° 125 p. 73 de février 2017) : un projet développé de façon cohérente.

Dans la mise en scène de Guy Montavon, d’un modernisme tempéré, le IV prend le parti singulier d’isoler les deux protagonistes dans deux pièces juxtaposées, rompant avec le réalisme de ce qui précédait : un acte I assez bien animé et aux coloris charmeurs, placé sur la terrasse d’un bar d’aujourd’hui ; un II développant une curieuse pantomime, pour rompre avec les pastiches du XVIIIe siècle ; un III passablement énigmatique, pour l’appel des condamnées.

Cette mise en quarantaine de Des Grieux, au dernier acte, serait en fait justifiée, Yusif Eyvazov plombant sérieusement la soirée par un jeu d’une lourdeur et d’une maladresse insignes, empêchant qu’à aucun moment le personnage puisse exister, nonobstant la vaillance de l’aigu, et l’importance des moyens, presque toujours libérés sans mesure.

C’est pour l’héroïne, en revanche, condamnée alors à une sorte de cellule ascétique chichement éclairée, l’occasion de déployer un solo que nous avons rarement connu à ce point bouleversant, tant par la maîtrise de la ligne, jusqu’aux impalpables pianissimi terminaux, que par l’incarnation d’une passion véritablement torturante, que les événements d’aujourd’hui aident, peut-être, à rendre encore plus poignante.

Auparavant, le vêtement noir et blanc de religieuse du I a fait beaucoup pour la crédibilité de l’ingénue supposée de 18 ans, incarnée avec une grâce touchante. Moins pour le II, où la crudité des éclairages, dans un salon d’un luxe très voyant, ne parvient pas tout à fait à faire oublier l’âge réel de la coquette, malgré tout son charisme. Mais c’est alors que l’homogénéité de la voix d’Anna Netrebko, opulente, souple et sensuelle, avec toutes les sfumature nécessaires, compose, avec une intelligence et une empathie exceptionnelles, un personnage qui ne cesse de fasciner, et d’émouvoir profondément, parvenant à hisser aussi son partenaire et époux sur les sommets, pour les duos du II et du III.

Autour de ce couple trop disparate, ce n’est presque que du bonheur, en premier lieu avec le Lescaut délié, et d’un cynisme affiché de façon très voyante, de Claudio Sgura, faisant un peu pâlir le Geronte de ligne impeccable, mais moins bien projeté, d’Alessandro Spina – figé, de surcroît, dans un vêtement corseté à la Karl Lagerfeld, lunettes noires comprises.

Comprimari au-dessus de tout éloge, avec l’Edmondo vif-argent et très percutant de Luis Gomes, la verve requise de l’Aubergiste de Luca Vianello, et le Maître de ballet (puis Allumeur de réverbères) de Rémy Mathieu, toujours très élégant et au timbre charmeur. Et l’on ne saurait trop louer l’habituelle perfection du Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, mené par Stefano Visconti, et tout particulièrement les cinq merveilleuses solistes féminines pour le « Madrigal » du II, comme le superbe mezzo de Loriana Castellano.

Avec un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en état de grâce, le vétéran Pinchas Steinberg (76 ans), en excellente forme, est au meilleur de son très éclectique répertoire, parachevant ce qui serait, hors le ténor, un niveau musical d’ensemble de tout premier ordre, et qui sonne idéalement dans la Salle Garnier.

FRANÇOIS LEHEL


© OMC/ALAIN HANEL

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