Opéras Atys réveillé à Genève
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Atys réveillé à Genève

08/03/2022

Grand Théâtre, 27 février

Dans les derniers jours de 1986, William Christie et Jean-Marie Villégier rompaient, d’intelligence, le long sommeil d’Atys (Saint-Germain-en-Laye, 1676), et de Lully même. Avec un spectacle d’emblée définitif, dont la reprise à l’identique, en 2011, eut la vertu, non seulement de raviver le souvenir ébloui des uns, mais surtout d’émerveiller, comme à sa naissance, tous ceux qui le découvraient enfin. Si bien que les générations suivantes – à l’exception d’Hugo Reyne, en concert, puis au disque, et de deux tentatives scéniques lointaines, et sans plus de retentissement –, par crainte, légitime, de l’injuste comparaison, laissèrent reposer, sinon s’assoupir encore, « l’opéra du roi », ainsi surnommé parce qu’il était le préféré de Louis XIV.

Il fallait une certaine audace pour réveiller Atys. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève – ardemment soutenu, dans ce défi, par l’Opéra Royal de Versailles, coproducteur prestigieux, et d’abord naturel –, n’en a jamais manqué. D’autant qu’il affirme ici, en alliant aux forces musicales ad hoc de l’ensemble Cappella Mediterranea de Leonardo Garcia Alarcon, les talents conjugués, et inédits sur la scène lyrique, de l’éminent chorégraphe Angelin Preljocaj, de la plasticienne Prune Nourry, et de la créatrice de mode, ou plutôt sculptrice de vêtements, Jeanne Vicérial, l’ambition d’une œuvre d’art total et contemporain.

L’intention, dès lors, et l’esprit, diffèrent tant de la résurrection de 1986 que l’objet, et son sujet même, semblent neufs. Amputée, ou presque, de son Prologue – dont la réduction drastique s’accompagne d’une réécriture du texte, que les bons sentiments prétendent projeter dans une dimension universelle et intemporelle, plutôt qu’actuelle –, la « tragédie lyrique » est, en effet, abstraite de tout contexte historiciste.

La haute muraille immaculée, imaginée par Prune Nourry, se fracture par à-coups, pour laisser apparaître, dans l’obscurité de ses profondes lézardes, le dessin des racines de l’arbre anthropomorphe, tissé d’organiques entrelacs de cordes, dont Atys, comme crucifié, deviendra le cœur transfiguré.

Cette sobriété métaphorique, ce minimalisme symbolique, qui n’excluent pas une certaine monumentalité, ne sont pas loin de céder la signature visuelle du spectacle à Jeanne Vicérial, dont les costumes variés, et pour certains d’une réalisation qu’on suppose complexe, multiplient les références, tout en révélant avec force leur originalité – à la fois archaïques et futuristes, japonisants et empreints de science-fiction, (ré)inventant un univers, hors du temps et de l’espace.

Le langage d’Angelin Preljocaj est en évidente symbiose avec une esthétique que sa mise en mouvement, plus qu’en jeu, appelle. Au risque, parfois, du pléonasme, quand les protagonistes sont doublés par des danseurs, alors qu’eux-mêmes exécutent une version à peine simplifiée de la chorégraphie, qui inscrit les codes du théâtre de Quinault, et jusqu’au récitatif lulliste, dans un fascinant rituel – aux dépens, peut-être, de la progression et des enjeux dramatiques. Le geste appuie, prolonge le chant, sans que l’un ne dilue jamais l’impact de l’autre, mais, au contraire, en amplifiant sa corporalité.

Qu’il semble loin, à l’aune de la présente distribution, le temps où le répertoire baroque, français en particulier, était réservé à une poignée de spécialistes, aux voix impropres à d’autres exercices ! Les sopranos pointues ou frêles, et souvent interchangeables, de l’époque pionnière ont, ainsi, laissé la place à des instruments aussi épanouis que celui de la Doris florissante de Gwendoline Blondeel. Et plus encore d’Ana Quintans, Sangaride à la fois pulpeuse, et d’une grande netteté de trait et de caractère, soulignée par la limpidité de la langue, qui chez tous, pourtant en majorité non francophones, est, mieux qu’intelligible, incroyablement châtiée.

Peut-être Célénus ne tombe-t-il pas dans les meilleures notes d’Andreas Wolf, mais Michael Mofidian et Luigi De Donato se distinguent, en Idas et Sangar, par la fermeté de leurs graves. Plus familière de Cavalli que de Lully, Giuseppina Bridelli fait une Cybèle assez étonnamment garce, variant davantage les accents que les couleurs d’un timbre chaleureux, dont le sombre frémissement imprègne « Espoir si cher et si doux » d’une intense émotion.

Plus ténor que haute-contre – et de façon d’autant plus flagrante à l’écoute du Sommeil en apesanteur de Nicholas Scott et du Morphée de Valerio Contaldo –, Matthew Newlin déploie, dans le rôle-titre, une palette expressive qui, à la lumière, privilégie l’ombre d’un héroïsme écorché vif.

Bien que la fosse soit manifestement aussi haute que possible, l’acoustique du Grand Théâtre tend, comme toujours, du moins depuis le parterre, à étouffer les sonorités qui en émanent, sans que l’ensemble Cappella Mediterranea, tant au complet, que restreint à un continuo profus, en pâtisse trop. Davantage préoccupé de séduction que de rhétorique et de correction stylistique, Leonardo Garcia Alarcon anime la partition d’un souffle continu, comme pour accorder, à un degré assez rare, l’œil et l’oreille.

MEHDI MAHDAVI


© GREGORY BATARDON

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