Opéras Bal masqué à Milan
Opéras

Bal masqué à Milan

13/05/2022

Teatro alla Scala, 4 mai

Un mètre étalon, voilà ce que devrait être la Scala pour les opéras du XIXe siècle italien, et ceux de Verdi, en particulier. Dans cette nouvelle production d’Un ballo in maschera, les forces du temple milanais ne faillissent assurément pas à leur réputation, qu’il s’agisse du Chœur, superlatif, préparé par Alberto Malazzi, et surtout de l’Orchestre, confié aux excellents soins de Nicola Luisotti, substitué au directeur musical, Riccardo Chailly, empêché d’assurer les répétitions pour raisons de santé.

Sous la conduite sans effets de manche, ni coups de boutoir, et d’abord d’une cohérence dramatique exemplaire du chef italien, les insignes « professori » prodiguent d’incomparables leçons, tant en termes de couleurs, combinant chaleur et clarté fermement appuyées sur les basses, que de phrasés – le solo de violoncelle de « Morro, ma prima in grazia », simplement beau à pleurer. Tout ce qui sort de la fosse, en somme, est marqué du sceau de l’évidence.

Il n’en va pas de même pour le chant, sans toutefois épiloguer sur la pénurie, réelle ou supposée, d’authentiques voix verdiennes – espèce plutôt en voie de réapparition, ces dernières années, même si la nostalgie, ou plutôt le fantasme, d’un certain âge d’or n’a pas fini de minorer les mérites de nos grands interprètes d’aujourd’hui…

En conjurés, Sorin Coliban et Jongmin Park tiennent bien mieux leur rang secondaire que le Silvano de Liviu Holender, trop vert, même pour un marin. Encore fraîche émoulue, bien que déjà passée par la troupe du Staatsoper de Vienne, Federica Guida a pour Oscar le charme presque désuet d’un soprano en tête d’épingle, auquel l’esprit fait encore un peu défaut.

Yulia Matochkina est la nouvelle – énième ? – mezzo russe, dont les maisons internationales tentent de s’assurer les services dans une poignée d’emplois. Si la tessiture abyssale d’Ulrica ne lui pose guère de difficulté, elle s’y révèle assez courte de tempérament, comparée à des devancières à la signature vocale moins orthodoxe, peut-être, et abattant d’emblée, pour cette raison même, la carte de l’étrangeté.

Par la présence, qu’il doit à sa carrure autant qu’à la netteté de sa personnalité, Luca Salsi dessine un Renato dont la dignité presque froide – au risque de l’anonymat, au I, tant l’instrument semble lisse et contraint aux extrêmes – vire subtilement à la noirceur. Son principal tort, sinon le seul, est d’être, d’ailleurs bien malgré lui, le contemporain de Ludovic Tézier, inapprochable ici, qui prendra le relais pour les deux dernières représentations de la série.

Inscrivant son nom dans une lignée prestigieuse, Francesco Meli occupe légitimement la place plus ou moins laissée vacante par ses compatriotes dans le répertoire romantique. Lirico poussé plus que spinto – qualificatif dont les exigences dépassent sa traduction littérale –, le ténor italien offre à Riccardo la justesse de ses intentions expressives et musicales. Elles ne compensent cependant qu’à demi, surtout lorsque la recherche permanente du « squillo » tend à indurer le registre supérieur, le défaut de séduction et de naturel qu’avaient encore récemment, dans le rôle, Ramon Vargas ou Marcelo Alvarez, pour ne pas s’en tenir toujours à des légendes dès longtemps disparues.

Il arrive, certes, que sur tel crescendo, pourtant amené avec une discipline admirable, le passage du pianissimo au forte se fasse moins progressivement que Sondra Radvanovsky ne l’aurait voulu. Mais il faut s’incliner bien bas – et oublier les réserves que peut inspirer le timbre – devant ce geste vocal à l’ancienne, largement déployé et épanoui sur tout l’ambitus, jusqu’à ces aigus, qui fendent l’air avec la précision du laser. Car cette Amelia ne connaît pas de rivale.

Et qu’importe que le personnage ne puisse se départir d’élans parfois surannés, quand la mise en scène paraît à ce point accessoire. Marco Arturo Marelli a pourtant beaucoup à dire sur la psychologie du protagoniste, mais guère plus à montrer que des poses figées par la tradition.

Dans une sorte de « théâtre dans le théâtre », où sont reproduites, au dernier tableau, les loges de la Scala, la figure historique de Gustave III de Suède est évoquée – sans être nommée, puisque l’ouvrage est joué dans la version approuvée par la censure, avec un comte, et non un roi – sur fond de perspective forcée, symbolisant la « force du destin », et l’attraction du souverain vers la mort.

Longue silhouette noire au profil blafard et menaçant de Savonarole, cette dernière rôde, parfois avec son violon, entre les rochers de « l’orrido campo », où Amelia vient chercher la délivrance. Il en faudrait davantage pour dépasser le stade de « l’illustration superficielle » rejetée par Marco Arturo Marelli dans sa note d’intention, et en effet bien vaine dans un « melodramma » aussi haletant.

MEHDI MAHDAVI


PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA E AMISANO

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