Stéphane Degout (Le Directeur de la troupe, Escroc 1, Meurtrier 2, Le Directeur de cirque) – Vincent Le Texier (Le Père, Meurtrier 3, Le Maître d’école) – Chloé Briot (Le Pantin) – Yann Beuron (Escroc 2, Le Directeur de cabaret, Le Juge, Meurtrier 1, Le Marchand d’ânes) – Julie Boulianne (La Chanteuse de cabaret, Le Mauvais Élève) – Marie-Eve Munger (La Fée)
Orchestre Symphonique de la Monnaie, dir. Patrick Davin

2 CD Cypres CYP 4647

Adaptation lyrique de la pièce de Joël Pommerat, se basant elle-même sur le fameux conte moral de Carlo Collodi, le Pinocchio de Philippe Boesmans, créé au Festival d’Aix-en-Provence, en juillet 2017 (voir O. M. n° 131 p. 28 de septembre), et enregistré sur le vif à la Monnaie de Bruxelles, deux mois plus tard, passe sans problème l’épreuve des micros. On pouvait craindre que l’œuvre, visuellement incisive et brillante, ne perde un peu de sa substance et de son pouvoir d’évocation à la simple écoute. Il n’en est rien : par sa concision, son découpage et son enveloppe sonore bigarrée, elle demeure toujours saisissante.

Évidemment, l’absence de la dimension visuelle hautement figurative, conçue par Joël Pommerat et son équipe, génère un autre rapport au texte, à la voix et à la musique. L’auditeur est, cette fois, plongé au cœur du récit, sans être happé par la mécanique implacable de la mise en scène. La partition distille ce qu’il faut d’étrangeté et de tragi-comique pour qu’il soit interpellé au plus profond de lui-même et se laisse porter au gré des humeurs du pantin.

Le travail de Philippe Boesmans (né en 1936) est, à ce titre, remarquable d’inspiration. La versatilité de sa musique engage différents climats sonores, dont la kyrielle de personnages profite tour à tour. Chaque scène induit un sentiment, une situation, un lieu, avec une perspicacité troublante, la pulsation instrumentale séquencée voulue par le compositeur belge s’avérant également un fil conducteur crucial.

L’Orchestre Symphonique de la Monnaie (en formation restreinte) a, de toute évidence, bien assimilé cette pulsation et s’approprie sans heurt le chatoiement kaléidoscopique de l’écriture, y compris lors des précieuses interventions des trois instrumentistes solistes : violon tzigane, accordéon et saxophone. Saluons, au passage, l’implication extrême du chef, Patrick Davin, constamment en phase avec les courbes de la partition, qui égale le travail d’orfèvre accompli par Emilio Pomarico à Aix.

Distribution inchangée et plaisir intact. Probablement un rien plus à l’aise que le soir de la création, tous les chanteurs s’abandonnent sans réserve à cette sorte de dialogue musical scandé, à mi-chemin entre récitatif et chant. Personnage pivot, l’inquiétant narrateur campé par Stéphane Degout subjugue toujours par son abattage frontal et singulier.

À l’instar des talentueux Vincent Le Texier, Yann Beuron et Julie Boulianne, le baryton français endosse avec panache plusieurs identités, qu’il réussit à chaque fois à différencier. Les seules à ne pas avoir à se plier au jeu sont Chloé Briot et Marie-Eve Munger, toutes deux idéales dans leur registre respectif, qui illuminent littéralement cet ouvrage protéiforme.

Tour à tour âpre, poétique et désarmant, le Pinocchio du tandem Boesmans/Pommerat consacre, avec une intelligence rare, l’alliance du théâtre, de la musique et du chant.

Signalons que les deux CD sont complétés par un DVD intitulé « Philippe Boesmans, compositeur », documentaire de Simon Van Rompay et Isabelle Pouget, rassemblant interviews et témoignages.

CYRIL MAZIN

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