Véronique Gens & Sandrine Piau : Rivales, Airs & duos d’opéras et d’opéras-comiques français

1 CD Alpha Classics ALPHA 824

Rivales : assurément, dans la vie, les sopranos françaises Sandrine Piau et Véronique Gens, nées à un an d’intervalle seulement, ne le sont pas, chacune à la tête d’une carrière désormais bien remplie, dans des répertoires plus complémentaires qu’identiques. Rivales : Mme Dugazon et Mme Saint-Huberty l’étaient-elles ? La première s’imposa à la Comédie-Italienne (rebaptisée, en 1780, Opéra-Comique) ; la seconde brilla à l’Académie Royale de Musique, autrement dit l’Opéra de Paris.

À salles différentes, répertoires différents. Rosalie Dugazon (1755-1821), protégée de la fameuse Mme Favart, établit sa réputation dans les ouvrages de Grétry, Monsigny et Dalayrac. Soprano relativement légère dans la première partie de sa carrière, vocalement plus modeste et restreinte dans ses dernières années, elle fut l’une des rares artistes à laisser son nom à deux types lyriques, « première dugazon » et « deuxième dugazon », passant au fil du temps de l’amoureuse à la mère.

Antoinette Saint-Huberty (1756-1812), de son côté, assura des emplois plus larges et dramatiques, comme Armide dans Renaud de Sacchini (qu’elle n’hésita pas à soulever à sa vraie concurrente, Rosalie Levasseur) ou le rôle-titre d’Alceste de Gluck, réclamant une voix à la limite du soprano et du mezzo. Une chose est sûre : outre des vies sentimentales romanesques, les deux cantatrices eurent en commun des talents de comédienne souvent vantés.

Dans cet album, gravé en studio, en juin 2021, Sandrine Piau et Véronique Gens, quatre airs chacune et trois duos, s’en donnent à cœur joie, exploitant au mieux leur chant scrupuleux et raffiné, leur musicalité, leur art du bien-dire.

Sandrine Piau fait preuve d’une énergie impressionnante dans le tempétueux « Où suis-je ? » (La Belle Arsène de Monsigny), puis déploie une ligne émouvante en Sesto (La clemenza di Tito de Gluck) et Pauline (Fanny Morna de Louis-Luc Loiseau de Persuis), qui tombent idéalement dans sa voix. Quant à l’air de Nicolette, extrait d’Aucassin et Nicolette de Grétry, il lui offre l’occasion d’une transition réussie entre la tendresse et l’inquiétude.

Véronique Gens apporte l’urgence dramatique dont ont besoin ­l’Alceste de Gluck (le fameux « Divinités du Styx »), Ariane (Ariane dans l’île de Naxos de Jean-Frédéric Edelmann) et Armide (Renaud de Sacchini). Ce qui ne l’empêche pas de faire assaut de charme et de simplicité en Rosette aimante, dans L’Embarras des ­richesses de Grétry.

Les trois duos (La clemenza di Scipione de Johann Christian Bach, Démophon de Cherubini, Camille de Dalayrac) sont tout aussi bienvenus, avec une mention particulière pour la virtuosité du premier.

Autre atout précieux de ce CD, en plus d’un programme annonçant fièrement huit premières discographiques mondiales, la présence du Concert de la Loge. Les sonorités affûtées, les cordes brillantes, les bois clairs et fruités sont un régal pour l’oreille. Quant à la direction, dynamique et vivante, de Julien Chauvin, elle fait de l’orchestre un partenaire à part entière des cantatrices.

Deux artistes à leur zénith, une formation instrumentale qui prend rang parmi les meilleures, une mine de découvertes : autant dire une anthologie unique.

MICHEL PAROUTY

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