1 DVD Opus Arte OA 1351 D & 1 Blu-ray OABD 7302 D

La production de Claus Guth, filmée au Covent Garden de Londres, à l’automne 2021, prend résolument la tête d’une vidéographie aussi riche que relevée. D’autant qu’elle est remarquablement dirigée par Henrik Nanasi et interprétée par une distribution de très haut niveau, emmenée par les phénoménales Asmik Grigorian et Karita Mattila.

Quelle pléthore de Jenufa ! Surclassant la récente parution de la production du Staatsoper Unter den Linden de Berlin, mise en scène par Damiano Michieletto, mais surtout dirigée par Simon Rattle, sous étiquette Cmajor (voir O. M. n° 185 p. 85 de septembre 2022), cette nouvelle version, filmée au Covent Garden de Londres, en septembre-octobre 2021, se hisse au sommet de la vidéographie de l’ouvrage.

En salle, le spectacle de Claus Guth ne nous avait pourtant que modérément convaincu (voir O. M. n° 178 p. 53 de décembre-janvier 2021-2022). Trop conceptuel et métaphorique, dans sa dramaturgie comme son esthétique, pour atteindre la vérité de cette tragédie rurale, il gagne à être vu à travers la caméra, et donc le regard du réalisateur Rhodri Huw, qui sert souvent au plus près les présences physiques idéales de chacun.

Le premier gros plan sur le visage d’Asmik Grigorian dit quasiment tout de son incarnation du rôle-titre, de cette inquiétude permanente qui deviendra, au fil des épreuves, résignation, afin de pouvoir aspirer, peut-être, à un autre bonheur. Sur le plan vocal, la soprano arméno-lituanienne atteint une sorte d’évidence de la parole, sans rien perdre tant du galbe que de la tension de son chant, à la fois ductile et tranchant.

De l’instrument de Karita Mattila, la Jenufa de sa génération – et, pour cette raison même, tout sauf étrangère à la relative popularité acquise, ces dernières décennies, par la pièce, et plus largement les opéras de Janacek –, ne restent que quelques fulgurants éclats. Ainsi que des ombres assez indistinctes dans les deux tiers inférieurs de la tessiture, dont les micros homogénéisent la projection, mise à mal par l’espace assez vaste du Covent Garden.

Affirmer que la soprano -finlandaise brûlait les planches, et crève à présent l’écran, serait un euphémisme : les expressions inimitables qui animent ses traits passent par tous les degrés imaginables que traverse Kostelnicka, depuis la pitié jusqu’à l’effroi.

Mais voyez encore Elena Zilio, dont on ne divulgue les 80 ans qu’elle avait déjà atteints alors, que pour souligner l’exceptionnel maintien, à tous les points de vue. Quant aux ténors Saimir Pirgu et Nicky Spence, ils se complètent, et s’opposent idéalement en Steva et Laca.

Le premier, dont il était difficile de remarquer, à distance, que Claus Guth avait fait un sosie de sa cousine et fiancée bientôt rejetée, accentuant ainsi son narcissisme hâbleur et détestable, se révèle bien plus pertinent, et percutant, dans ce répertoire inhabituel pour lui, que dans son ordinaire de jeune premier verdien ou -puccinien.

Le second, freiné depuis dans sa conquête d’emplois héroïques après s’être cassé les deux jambes, est saisissant dans le remords autant que l’espérance, grâce à un ténor idéalement tendu et tendre.

À l’avenant de ce plateau idéal, Henrik Nanasi obtient de l’orchestre du Royal Opera House des sonorités à la fois incisives, profondes et percées d’une lumière intense, qui immergent le drame dans un lyrisme bouleversant.

Mehdi Mahdavi

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