CD / DVD / Livres Prestigieux Jules César à Paris
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Prestigieux Jules César à Paris

01/06/2022

Théâtre des Champs-Élysées, 11 mai

Une distribution de Giulio Cesare ne peut être que luxueuse, lorsque Nireno, simple confident de Cleopatra, est paré du timbre d’alto le plus beau, et d’abord le plus naturel, qu’on ait entendu chez un falstettiste – don inestimable reçu par Paul-Antoine Bénos-Djian, que le rôle-titre attend déjà, en version de concert, au Festival de Beaune, le 29 juillet prochain. Et Francesco Salvadori n’a pas moins de valeur, qui, en Achilla, révèle un baryton égal et bien trempé sur toute son étendue. Inévitablement – quoique malgré lui, sans doute –, Carlo Vistoli place ses pas dans ceux de Christophe Dumaux, inégalable Tolomeo, avec une émission plus large, et son talent propre.

Quelle actrice, et quelle musicienne, surtout, que Lucile Richardot ! D’autant que la sévère dignité de la veuve de Pompeo la préserve d’une tendance à en faire parfois trop. Les exigences du bel canto haendélien ne manquent cependant pas de se heurter au contraste trop marqué entre des graves très appuyés, dont la couleur peut captiver, par sa singulière étrangeté, dans des répertoires plus anciens, et un registre supérieur désincarné.

C’est d’autant plus flagrant dans le duo entre Cornelia et Sesto, où Franco Fagioli déroule un legato frémissant. Le contre-ténor argentin n’est jamais plus impressionnant que lorsqu’il ne peut faire étalage de ces époustouflants sauts d’intervalles, qui sont sa signature de phénomène. Bien davantage qu’une vocalisation dont la mécanique alla Cecilia Bartoli manque trop souvent de souplesse, son art du chant spianato s’impose, en effet, par sa concentration – même s’il cède, au détour d’une cadence, à la tentation de contre-notes surnaturelles.

Une fois admis que ses fréquentes échappées au-dessus de la portée débordent du cadre stylistique, Sabine Devieilhe atteint la stratosphère avec une grâce funambulesque, absolument dépourvue d’ostentation, qui nourrit l’expression toujours juste de sa Cleopatra. La mise en scène de Damiano Michieletto a beau encombrer « Se pietà » d’une inutile pantomime – comme elle privera ensuite « Da tempeste », ici surchargé de doutes existentiels, de toute jubilation –, la soprano française tient sa ligne, mieux, la met à nu, avec une intensité souvent bouleversante, sans que jamais la voix, en théorie trop légère, ne semble manquer de corps.

La nature a doté Gaëlle Arquez d’un instrument d’une rare intégrité sur un très long ambitus, ce qui lui a permis de se mesurer aussi bien à la protagoniste d’Iphigénie en Tauride qu’à Isabella dans L’Italiana in Algeri. Pour ses débuts en Giulio Cesare, elle affronte, sans peur et sans reproche, une tessiture qui n’est, pour autant, pas la sienne – et l’oblige souvent à baisser le menton vers la poitrine pour en maintenir l’équilibre harmonique. Nettement dessinée, la colorature reste imperméable à la tension virtuose qui devrait l’animer, achevant de brider les ardeurs, guerrières ou amoureuses, d’un (anti)héros dès lors immuablement neutre – ou plutôt neutralisé.

Qu’en aurait fait Philippe Jaroussky, s’il n’avait refusé la proposition d’en endosser l’écriture tour à tour martiale et élégiaque, pour accepter – aussitôt ? – de prendre le chemin de la fosse ? Acclamé d’emblée telle une légende de la baguette par le public du Théâtre des Champs-Élysées, où il est en terrain conquis, le contre-ténor devenu chef ne tarde pas à démontrer sa totale légitimité, son sens de la pulsation, et la profusion de ses idées.

Bien sûr, l’ensemble Artaserse n’a pas encore, en effectif élargi pour l’occasion, l’infaillibilité de formations spécialisées plus aguerries à l’exercice de l’opéra, mais il assume avec ferveur des variations d’accents et d’éclairages, témoignant d’une imagination, et d’une liberté vis-à-vis de certains dogmes de l’interprétation « historiquement informée », qui sont la marque d’une personnalité affirmée.

Peut-être faudrait-il, pour que l’arc dramatique se tende davantage, que le spectacle de Damiano Michieletto relève moins de la succession de séquences. La psychologie censément fouillée des personnages s’y double d’une lecture mythologico-symbolique, avec pour fil rouge, aux sens propre et figuré, la toile que tissent les trois Parques autour de Cesare, dont l’obsession de sa propre mort résonne avec l’omniprésence de Pompeo – dénudé, puis statufié au terme du parcours initiatique de son fils Sesto, qu’il accompagne à sortir des jupes de sa mère Cornelia, pour devenir, une fois la vengeance accomplie, son digne successeur.

C’est moderne, lisible, supérieurement réglé – à l’exception d’une bâche en plastique, dont la chute à contretemps aura perturbé les saluts –, mais trop glacial pour tenir en haleine sur toute la durée d’un des « drammi per musica » les plus foisonnants de Haendel. Rien, en somme, qui puisse provoquer une bronca des grands soirs !

MEHDI MAHDAVI


© Vincent Pontet

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