Opéras Cosi pour l’oreille à Paris
Opéras

Cosi pour l’oreille à Paris

23/03/2022

Théâtre des Champs-Élysées, 18 mars 

Emmanuelle Haïm et Laurent Pelly, cosignataires, en 2011, d’une nouvelle production de Giulio Cesare, au Palais Garnier, se retrouvent aujourd’hui pour Cosi fan tutte. Entendant « mettre la musique au cœur du spectacle », le metteur en scène situe toute l’action dans un studio d’enregistrement – le décor de Chantal Thomas s’inspire d’un lieu berlinois réel –, dans les années 1950. Fiordiligi et Dorabella arrivent pendant l’Ouverture en tenue de ville, partition sous le bras, puis tout le monde se met en place pour commencer la séance, après un remue-ménage de pupitres et chaises.

Hélas, plus on avance et plus le parti pris se fait flou, au gré de modifications à vue de l’espace scénique, de déplacements des chanteurs occasionnant un incessant ballet de micros, portés par des techniciens ou tombant des cintres, avec surtout des amants arrivant réellement déguisés (en de jolis habits XVIIIe), comme plus tard Despina en docteur et notaire. Toutes choses qui, pour ce qui est censé être une captation sonore, n’ont guère de sens, et donnent finalement à voir un Cosi des plus convenus.

Force est de constater que ce concept est une fausse bonne idée, conduisant à une impasse dramaturgique. Il reste des situations amusantes qui, grâce au jeu des chanteurs, suffisent à faire rire le public, pour peu qu’il ne se pose pas trop de questions.

Heureusement, Emmanuelle Haïm est une cheffe diligente, qui mène son orchestre Le Concert d’Astrée avec énergie et élégance, en une lecture assez cursive, aux tempi souvent vifs. On regrette seulement que peinent à affleurer la poésie et l’émotion des « grands moments », comme le quintette « Di scrivermi » ou le merveilleux quatuor « E nel tuo, nel mio bicchiero ».

Bravo d’avoir rassemblé un plateau solide et cohérent, uniquement français, d’autant qu’en cette avant-dernière, Florian Sempey, souffrant, a dû mimer le rôle de Guglielmo, tandis que Thomas Dolié, arrivé le matin même depuis Barcelone, le doublait, en bord de scène, côté jardin. Une très belle performance, pour l’un comme pour l’autre, le remplaçant montrant non seulement une excellente voix, mordante et moelleuse, mais aussi une justesse d’expression de tous les instants et une impeccable mise en place. La paire a d’ailleurs reçu un triomphe mérité aux saluts.

Tout aussi bon acteur, Cyrille Dubois est un élégant Ferrando, dont on apprécie l’émission claire et haut placée, ainsi que la précision des vocalises dans les ensembles. Dommage que le timbre sonne parfois un peu nasal, et qu’un léger grelot dans le médium aigu dépare la pureté de ligne de son premier air (« Un’aura amorosa »).

Si les deux fiancées font preuve d’une belle complicité en scène, leurs voix ne se marient pas très bien. En effet, Gaëlle Arquez offre une Dorabella, dont l’opulence de timbre et la puissance – qui nous valent un volcanique « Smanie implacabili », mais aussi un « È amore un ladroncello » un peu lourd – ont tendance à écraser sa « sœur ».

Vannina Santoni montre pourtant de la discipline, de l’aplomb et une grande musicalité. Mais la voix est un peu étroite : « Come scoglio » manque d’aisance dans les coloratures et les trilles, et « Per pietà », déjà fragilisé à l’orchestre par des cors bien incertains, expose un grave trop fluet. On regrette aussi une incapacité à faire flotter l’aigu, marque des grandes Fiordiligi.

Les deux meneurs de jeu sont plutôt drôles, malgré une tendance à en faire un peu trop. Surtout Laurent Naouri, doyen du plateau, dont le Don Alfonso, sans doute pour compenser une voix ayant perdu en timbre et homogénéité, parle ou aboie désormais plus qu’il ne chante, sauf – heureusement – dans le trio « Soave sia il vento ».

La toute jeune Laurène Paterno est, en revanche, une belle découverte en Despina, avec une voix assez corsée et efficace qui lui permet de détailler ses airs avec faconde. Dommage qu’on lui demande un jeu si gesticulatoire, et aussi que son notaire soit si semblable à son docteur, par des sons nasaux et volontairement faux.

Un spectacle dramaturgiquement raté, largement racheté par sa qualité musicale et vocale. 

THIERRY GUYENNE


© VINCENT PONTET

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