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Curieux Oiseaux à Strasbourg

28/01/2022

Opéra, 19 janvier

Création française de Die Vögel (Les Oiseaux)très attendue, mais sur le fil du rasoir : cinq des vents du Philharmonique de Strasbourg confinés la veille, et son nouveau directeur musical, le chef ouzbek Aziz Shokhakimov, le matin même, pour ce qui devait être sa première prestation dans la fosse, à la tête de l’Orchestre ! Tous ont pu être remplacés in extremis, dans la tension que l’on devine.

On gardait le mémorable souvenir de l’univers coloré et d’une foisonnante invention poétique de la production de Yannis Kokkos, à Genève, en 2004. Pour cette nouvelle mise en scène de l’opéra de Walter Braunfels (1892-1954), l’Américain Ted Huffman a choisi un parti tout opposé, situant l’action dans l’ascétique cadre unique d’un espace ouvert de bureaux contemporains. Non sans justifications, pour dépasser le seul chatoiement de la fable et rendre compte de sa portée sociale et morale, incarnée par la quête existentielle des deux héros, tentant de s’arracher à la médiocrité d’une société bureaucratique.

Aux dépens, d’emblée, de la littéralité du texte : aucune plume nulle part, pour ce qui est, en principe, le royaume des oiseaux ; et pas d’ascension non plus vers les hauteurs, dans cet espace clos au plafond bas. Des trois mondes évoqués par le compositeur lui-même, celui de la misère des hommes, de la fantaisie des oiseaux et de la grandeur des dieux, seul le premier aura vraiment droit de cité.

À l’acte I, pourtant, la révolte violente des employés écrasés par leur tâche, et détruisant leur mobilier anonyme pour construire la ville idéale prônée par Fidèlami (Ratefreund), trouve un impact certain. Mais le II montre toutes les limites d‘une conception finalement très réductrice, le concept échouant à l’évocation du contact avec le monde supérieur et lointain, concrétisé par les vingt-cinq minutes du sublime duo entre le Rossignol (Nachtigall) et Bonespoir (Hoffegut).

Plus rien alors dans la production, qui plonge seulement la scène dans une pénombre bleutée, meublée du triste chaos de la pièce bouleversée, et laisse les acteurs sans ressources, après l’intervention incongrue d’un danseur hystérique, étranger au livret. Transformé en ramasseur de corbeilles à papier, Prométhée (Prometheus) perd toute son aura, dans le grandiose récit où il évoque sa propre révolte et le châtiment qui a suivi, laissant en porte-à-faux aussi le splendide hymne à Zeus qui enchaîne, en forme de Te Deum fervent, ramenant les égarés à la raison, et à la foi, qui est celle du compositeur, récemment converti au catholicisme.

Un très solide plateau ne compense pas totalement cet échec partiel. Il est dominé par le Rossignol de la soprano canadienne Marie-Eve Munger, avec sa cascade de coloratures : d’une aisance désarmante dans la plus aérienne vocalise, et les impeccables suraigus, jusqu’au contre-ré terminal, et pour autant préservant toujours la chaleur du timbre, la vivacité de l’actrice triomphant, pour sa part, de la banalité ou de la laideur voulue qui sont celles de tous les costumes.

Le Bonespoir percutant et puissamment lyrique du ténor finlandais Tuomas Katajala lui donne un parfait répondant, rejetant un peu au second plan le Fidèlami du baryton-basse américain Cody Quattlebaum, moins bien projeté. En très belle voix, l’Autrichien Josef Wagner donne un impressionnant Prométhée, qu’on peine de voir en scène aussi pitoyablement disgracié, tandis que le baryton plus clair de l’Allemand Christoph Pohl fait merveille en Huppe (Wiedehopf).

Parmi les rôles secondaires, on soulignera la percée de la soprano française Julie Goussot, sortie de l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin, qui donne un relief inattendu au Roitelet (Zaunschlüpfer), tant par la beauté intrinsèque de la voix que par sa séduisante présence en scène.

Triomphatrice de la soirée enfin, et acclamée par la salle avec autant d’enthousiasme que les remarquables prestations de l’Orchestre et du Chœur, la jeune Sora Elisabeth Lee. Nommée à l’Opéra Studio de l’ONR, en septembre 2021, et prévue à l’origine pour une seule représentation, à Mulhouse, la cheffe coréenne aura assuré de fait, dans ces conditions difficiles, l’énergique et impeccable mise en place de l’ensemble, et il serait malvenu de lui reprocher l’absence d’un approfondissement supérieur.

FRANÇOIS LEHEL


© KLARA BECK

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