2 CD Dynamic CDS 7915.02

Personne n’avait jamais entrepris – ni même songé, peut-être – à enregistrer le Macbeth en langue -française, créé à Paris, sur la scène du Théâtre-Lyrique, le 19 ou 21 (selon les sources) avril 1865. Cela peut paraître surprenant et, en même temps, la nature même de l’ouvrage fournit des éléments d’explication.

Sur le plan musical, il s’agit, en effet, de la version composée pendant l’hiver 1864-1865, sur le nouveau livret italien de Francesco Maria Piave, lui-même adapté du texte de la première mouture de l’opéra (Florence, 14 mars 1847), signé Andrea Maffei. Absolument rien de nouveau, donc, par rapport à la partition gravée en studio par Claudio Abbado (Deutsche Grammophon), Riccardo Muti (EMI/Warner Classics), Giuseppe Sinopoli (Philips/Decca), Riccardo Chailly (Decca)…

Le fait qu’il s’agisse d’une simple traduction (par Charles-Louis-Étienne Nuitter et Alexandre Beaumont) différencie d’emblée ce Macbeth de Don Carlos et Les Vêpres siciliennes, directement écrits en français, et du Trouvère parisien, pour lequel Verdi ajouta de la nouvelle musique. Et, du même coup, en limite l’intérêt, réduit au seul apport de la langue. A priori, celui-ci n’a rien de négligeable, dans la mesure où le passage d’un idiome à un autre modifie toujours l’allure générale d’un opéra, ainsi que la manière d’exprimer leurs sentiments des personnages. Mais encore faut-il, pour cela, que l’on comprenne ce qui se dit !

Grâce à un Ludovic Tézier en état de grâce – comme le décrivait Angelo Folletto dans son excellent compte rendu du concert capté à Parme, le 11 septembre 2020, par Dynamic (voir O. M. n° 166 p. 48 de -novembre) –, c’est le cas ici. Miraculeux de netteté et d’expressivité dans la diction, le baryton triomphe de tous les pièges d’un texte souvent malcommode à chanter, faute d’adéquation entre la versification et les exigences de la ligne vocale (il en aurait sans doute été autrement, si Verdi, absent au moment des répétitions et des représentations, y avait veillé).

En découle un héros à la fois proche et différent de celui de la version italienne, dont la manière de faire passer l’émotion s’inscrit davantage dans le sillage de la tragédie classique du XVIIe siècle français que dans celui du melodramma romantique – la remarque vaut également pour Philippe II, dans Don Carlos.

Quant à la voix, elle est au zénith, charnue, mordante, homogène, facile dans l’aigu et attentive aux moindres nuances. Bien servi par la prise de son, Ludovic Tézier se hisse au niveau des meilleurs Macbeth de la discographie (Piero Cappuccilli, Renato Bruson, Sherrill Milnes en tête), quand il ne fait pas encore mieux. Son « Honneurs, respect, tendresse » (« Pietà, rispetto, amore ») tient du miracle et se -réécoute les yeux fermés !

Ses partenaires n’évoluent pas sur les mêmes cimes, ni sur le plan vocal, ni sur celui de la qualité de la prononciation. Le solide Macduff de Giorgio Berrugi, quoique sans rayonnement particulier, est encore celui que l’on comprend le mieux. Riccardo Zanellato fait des efforts en Banquo, mais son accent prononcé gêne dans son premier duo avec Macbeth, et la voix bouge un peu sur les longues tenues.

Les comprimari sont inégaux, les chœurs brillants (mais le plus souvent inintelligibles), laissant ouvert le débat sur le choix de Silvia Dalla Benetta pour Lady Macbeth.

Remplaçant Davinia Rodriguez, la soprano italienne n’a pas eu beaucoup de temps pour se préparer. Reconnaissons qu’elle se tire avec les honneurs de l’épreuve, son timbre privé de charme ne constituant pas un handicap dans ce rôle. Mais la voix est trop légère, avec un grave faible, l’intonation n’est pas toujours impeccable et, surtout, malgré une évidente bonne volonté, on ne saisit que par intermittence ce qu’elle dit.

Heureusement, Roberto Abbado, à la tête des excellents musiciens de l’orchestre Filarmonica Arturo Toscanini, dirige avec la souplesse, l’énergie et le dramatisme requis, faisant ressortir, comme Angelo Folletto le soulignait déjà, toute l’originalité et la « différence» de cette mouture française.

Pour l’œuvre, le chef, l’orchestre, les chœurs et son interprète principal, ce premier enregistrement mondial est à connaître absolument.

RICHARD MARTET

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