Emiliano Gonzalez Toro & Zachary Wilder : A Room of Mirrors

1 CD Gemelli Factory GFA 001/1

Créé en 2018, l’ensemble I Gemelli n’a pas tardé à se faire une réputation dans le monde de la musique vocale du XVIIe siècle. À juste titre, puisque son cofondateur, le ténor helvético-chilien Emiliano Gonzalez Toro, en est un formidable interprète. Les musiciens, qui jouent sur instruments anciens, tissent une trame sonore dont les chanteurs sont l’organe essentiel, le son se propageant de ce centre vital jusqu’à englober l’entourage orchestral, en respectant ce principe fondamental de la vocalité de l’époque, dont Claudio Monteverdi reste le maître : la parfaite fusion du son et du mot.

Monteverdi : sa présence tutélaire plane sur tous les compositeurs ici convoqués, à commencer par l’admirable Sigismondo d’India, présent à quatre reprises, en passant par Girolamo Frescobaldi, Biagio Marini, et d’autres moins connus, comme Galeazzo Sabbatini, Bellerofonte Castaldi, Annibale Gregori… Chacun d’eux est, selon les concepteurs du programme, un reflet du Crémonais.

Les voix des deux ténors réunis dans cet enregistrement de studio, réalisé en janvier 2021, s’unissent ou se répondent en un effet de miroirs qui envoûte littéralement l’auditeur : celle d’Emiliano Gonzalez Toro, pleine, chaleureuse, moelleuse jusque dans les notes les plus graves, et celle de Zachary Wilder, plus claire, un peu plus aiguë.

Tous deux partagent une pertinence stylistique hors du commun et une ligne de chant qui, en plus d’être impeccable, est habitée dès les premières notes. Tous deux sont souverains dans l’art de faire vivre et vibrer les mots – et ceux de Torquato Tasso ou d’Ottavio Rinuccini, poètes de génie s’il en fut, sont aussi beaux que les musiques qui les nimbent.

Quelques pages instrumentales sont négociées avec une délicatesse dont le naturel subjugue, comme Folia echa para mi señora d’Andrea Falconieri ou la Sonata quarta de Dario Castello, mais peu d’occasions sont offertes aux chanteurs de briller en solo.

Dans La vecchia innamorata de Marini, Zachary Wilder joue néanmoins, avec maestria, sur les couleurs et la dynamique vocales. Le ténor américain se révèle un conteur plein d’esprit, pour croquer les affres d’un galant aux prises avec une vieille qui tente de le séduire et une jeune coquette qui le dédaigne. Dans Se l’aura spira de Frescobaldi, Emiliano Gonzalez Toro, tout aussi expert dans l’art du bien-dire, fait assaut de charme pour vanter les pouvoirs de la brise qui « chasse les vents de cruauté ».

On s’en doute, ce sont les duos qui font le prix de cet album irrésistible. La douceur et la poésie du Dialogo della rosa (D’India), subtilement ornementé, la volubilité épanouie de Mai non disciolgasi (Gregori), sommet d’exaltation amoureuse, brisé par un contraste dramatiquement efficace dans sa dernière strophe, le défi poussé jusqu’à la mort de Folgori Giove (Sabbatini) sont autant de moments qui atteignent au sublime, portés par des interprètes inspirés, dont on ose dire qu’ils atteignent la perfection.

Voici déjà le quatrième enregistrement d’I Gemelli. Et c’est encore un disque unique, d’une profonde humanité et d’une intensité poétique inapprochée.

MICHEL PAROUTY

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