Pour capter l’un des sommets de l’été 2018, à Salzbourg (voir O. M. n° 143 p. 67 d’octobre), Tiziano Mancini choisit d’en fouiller les surabondants détails, dans les trois grandes pièces juxtaposées qui constituent le très remarquable dispositif de Malgorzata Szczesniak, aux dépens des vues d’ensemble, qu’on ne saisira que fugitivement : cadrages salle par salle, avec même d’étonnantes vues transversales, dans toute la largeur du décor, valorisant plusieurs images belles et fortes.

On pourra apprécier une direction d’acteurs poussée, et la lisibilité de l’action, au-delà des choix de Krzysztof Warlikowski, qu’on peut continuer de discuter. En particulier pour l’Intermezzo, moment difficile de l’œuvre, supprimé par Henze après la création : les gros plans soulignent alors un parti délibéré de sado-masochisme complaisant, avec une composante de perversité malsaine qui n’est pas constitutive de la partition.

On pourra accepter, en revanche, le traitement exacerbé, souligné par le voyeurisme de la caméra, de la scène d’hystérie d’Agave sur le Cithéron, représentée par une danseuse entièrement nue, dans la performance plus que débridée de l’étonnante et sculpturale Rosalba Guerrero Torres.

Cet impressionnant travail, qu’il faut connaître, même si l’on souhaite voir aussi à l’écran des productions totalement différentes, est superlativement servi musicalement. Russell Braun assure brillamment le personnage plutôt ingrat de Pentheus, et Tanja Ariane Baumgartner, exhibant sans pudeur les limites de son anatomie, est, avec son puissant mezzo, une formidable Agave.

Vera-Lotte Böcker lui fait un contrepoint idéal, dans le soprano colorature de sa sœur Autonoe. À côté des solides autres protagonistes, Willard White incarne un parfait Cadmus, tandis que Sean Panikkar est une véritable trouvaille pour la figure du mystérieux Dionysus, d’une extrême séduction physique et vocale.

Fosse insurpassable, aussi, avec les splendeurs du Wiener Philharmoniker, sous la direction magistrale de Kent Nagano, comme sur la scène, avec le parfait Wiener Staatsopernchor.

Pour cette entreprise mémorable, regrettons d’autant une édition hâtive, avec une plaquette sommaire et, surtout, un sous-titrage uniquement en allemand et en anglais (langue du livret original), limitant absurdement la diffusion internationale qui s’imposait.

FRANÇOIS LEHEL

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