Opéras Hercule, héros de Karlsruhe
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Hercule, héros de Karlsruhe

22/03/2022

Badisches Staatstheater, 26 février

On sait que les oratorios anglais de Haendel sont, le plus souvent, des drames profanes déguisés. Cela dit, dans Hercules, créé sans grand succès à Londres, en 1745, l’action se réduit à vraiment peu de chose. La psychologie du héros, aussi musculeux que dépourvu de jugeote, n’est guère approfondie, l’essentiel de l’intérêt se focalisant sur la jalousie continuellement ressassée de son épouse, Dejanira.

L’affaire ira jusqu’à l’homicide, a priori involontaire, par l’intermédiaire de la fameuse tunique imbibée du sang du centaure Nessus, cadeau empoisonné qu’Hercules aurait mieux fait de ne pas enfiler. Pourtant, et en dépit du charme de la jeune Iole, fille d’un roi ennemi vaincu, ramenée en captivité, Hercules est relativement innocent des intentions d’adultère qu’on lui prête. Happy end de rigueur : la constellation d’Hercules monte au firmament, et c’est finalement Hyllus, son fils, qui convole avec la jolie princesse étrangère.

Le scénario est mince, mais le metteur en scène néerlandais Floris Visser, qui avait déjà rajouté du piment à Semele, ici même, en 2017 (voir O. M. n° 128 p. 39 de mai), se tire de l’embûche en utilisant les mêmes techniques : la surimpression d’un scénario d’une minutie très cinématographique, où tout est calibré, plan par plan. Et le résultat est à nouveau brillant, alors même que la soirée dure presque quatre heures.

Décor tournant sur deux niveaux, qui permet de varier les cadrages et les distances de focale, comme avec des caméras. Système compliqué de flash-back successifs, l’ouvrage commençant par le procès de Dejanira, accusée devenue folle, immobilisée par une camisole de force, devant un jury populaire. Transposition efficace dans les années 1950, entre Alfred Hitchcock et Billy Wilder : un thriller mi-tragique, mi-drôle, au découpage extrêmement prémédité, mais toujours au service d’une tension dramatique qui ne se relâche jamais. Présence incongrue d’un pope orthodoxe, de temps à autre, sans doute pour nous rappeler, en dépit des apparences, que l’action se passe… en Thessalie !

Un peu comme ce qui s’était produit pour Semele, une scénographie aussi chargée peut paraître envahissante, mais l’intensité musicale exceptionnelle d’Hercules résiste mieux à cet afflux d’images : un irrésistible enchaînement d’airs et de chœurs, d’un très haut niveau.

À la Dejanira de la mezzo suédoise Ann Hallenberg, fait défaut une émission un peu plus percutante, surtout quand on garde en mémoire les fulgurances de Joyce DiDonato, incandescente dans ce rôle, en 2004, au Palais Garnier (DVD BelAir Classiques). Mais son incarnation du personnage, cas psychiatrique toujours plus délirant, réfugié dans les bras d’un Hercules fantasmé, ange torse nu aux grandes ailes noires, est touchante et juste.

Le baryton-basse américain Brandon Cedel joue les héros monolithiques avec une belle voix, solide mais flexible, et l’on peut comprendre son béguin pour le très joli timbre et la musicalité de la soprano australienne Lauren Lodge-Campbell, ravissante Iole. Excellents, l’Hyllus du ténor allemand Moritz Kallenberg et le Lichas du contre-ténor britannique James Hall.

Une distribution à la hauteur d’un ouvrage exigeant, sous la direction constamment engagée, voire infatigable, du chef danois Lars Ulrik Mortensen, qui dirige toute la soirée depuis son clavecin, à la tête d’irréprochables Deutsche Händel-Solisten.

LAURENT BARTHEL

PHOTO © FALK VON TRAUBENBERG

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