On connaissait déjà Il paria, grâce à une captation sur le vif à Faenza, en 2001 (Bongiovanni). Sous la solide direction de Marco Berdondini, les quatre principaux interprètes défendaient avec conviction une œuvre exigeant, certainement, des talents plus aguerris. On n’en remarquait pas moins les qualités originales de cet « opera seria », créé à Naples, le 12 janvier 1829, qui, malgré sa distribution de prestige (Adelaide Tosi, Gio. Battista Rubini, Luigi Lablache), ne rencontra qu’un succès modeste.

La faute au sujet, adapté par Domenico Gilardoni d’une pièce de Casimir Delavigne (Le Paria, 1821) ? Il n’était pas si fréquent, alors, de choisir une intrigue située en Inde, mettant en scène, au XVIe siècle, l’opposition séculaire entre brahmanes et intouchables. La construction dramatico-musicale de Donizetti était-elle trop innovante ? Il n’y a pas de feux d’artifice vocaux à la fin des actes, le chœur occupe une place inhabituellement centrale, et l’équilibre entre récitatifs d’un côté, airs ou duos de l’autre, s’avère plus respectueux des premiers qu’à l’ordinaire.

Réalisée en studio, en juin 2019, cette intégrale s’appuie sur l’édition critique établie par Roger Parker et Ian Schofield. Elle bénéficie de l’intelligence musicale de Mark Elder, toujours à l’aise dans ce type de répertoire, qu’il sait à la fois respecter dans sa tenue et rendre sensible à notre goût moderne. Une vie nouvelle parcourt ainsi ces deux actes, sans que l’on ait un seul instant l’impression que les personnages prennent la pose, en essayant de briller de tous leurs feux. L’émotion, le trouble des âmes, trouvent leur juste place à côté des indispensables prouesses vocales.

À la différence de la version Bongiovanni, à la distribution majoritairement italienne (Alessandro Verducci, Patrizia Cigna, Filippo Pina Castiglioni et le baryton polonais Marcin Bronikowski), Opera Rara a réuni une équipe très internationale. Plus convaincante ici que dans Semiramide, pour la même firme, la soprano russe Albina Shagimuratova incarne une Neala lumineuse, avec juste ce qu’il faut de fragilité et de détermination. Quant à l’Américain René Barbera en Idamore, il ne se contente pas d’être un talentueux tenore di grazia ; la chaleur de son timbre, ainsi que son énergie, tracent le portrait attachant d’un combattant amoureux, issu d’une classe honnie.

Ferme dans ses accents, sans pour autant priver son personnage d’ambiguïtés et de nuances, le baryton-basse croate Marko Mimica donne à Akebare, chef des brahmanes et père de Neala, une dimension humaine bienvenue. Misha Kiria, enfin, reprend le rôle de Zarete, créé par Lablache. Dans son air « Qui per figlio », l’un des moments forts de l’opéra, où il évoque le massacre passé des intouchables, on pouvait attendre plus de rage ou, à défaut, une émotion plus manifeste. Le baryton géorgien préfère adopter un ton mesuré, intérieur, qui rend la scène encore plus bouleversante.

Au bilan, une juste réhabilitation d’Il paria qui, un an avant Anna Bolena (Milan, 26 janvier 1830), confirmait la place éminente occupée par Donizetti parmi les compositeurs italiens… même si Naples, dans un premier temps, ne l’avait pas compris.

PIERRE CADARS

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