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Comptes rendus

Il trionfo del Tempo e del Disinganno à Salzbourg

27/09/2021

Haus für Mozart, 14 août

L’élection tapageuse, dans une ambiance électrique et sur un plateau très flashy, envahi par les caméras, du top-model de l’année, avec fête et cocktail, prolongés par plusieurs soirées branchées (chorégraphies endiablées de Rebecca Howell) : Robert Carsen place le début du parcours de son héroïne – Bellezza (La Beauté) – sous les pleins feux, et au milieu de toute la vanité papillonnante des plaisirs du monde. Seules les figures toutes de noir vêtues de Tempo (Le Temps) et Disinganno (La Désillusion, qu’on pourrait mieux rendre par « démasquage » – des fausses valeurs – ou « dévoilement » – de la vérité) veillent au grain, la première en magister à grosses lunettes d’écaille, la seconde en prêtre à longue cape enveloppante.

Avec une maîtrise confondante, de la passerelle entourant l’orchestre jusqu’aux ébouriffantes vidéos (de Rocafilm, équipe régulière du Festival depuis 2012), la suite – donnée à raison sans entracte, pour une durée totale de deux heures et demie – poursuit une gradation dramatique qui ne cesse de fasciner.

Ponctuée par autant de leitmotive « carséniens » – tel le splendide bouquet de fleurs couvrant tout le fond, qui se fane lentement pour le grand air de Tempo (« Folle, dunque tu solo presumi »), au I –, la tonalité s’assombrit progressivement, inversant les rapports de Piacere (Le Plaisir) aux deux figures noires, à mesure que se « dévoilent » les doutes de l’héroïne, pour culminer dans l’extraordinaire quatuor du II (« Voglio Tempo per risolvere »), où s’affrontent les jurés du concours initial.

Pour autant, rien de lugubre, ni de désespérant – et l’on est donc, sur ce plan, aux antipodes de la production de Krzysztof Warlikowski, à Aix-en-Provence, en 2016 (en DVD chez Erato). Après avoir proposé, au II, un vaste miroir de fond où se reflète toute la salle, à laquelle s’adresse aussi la leçon, Robert Carsen conclut, en une autre superbe image, par l’éloignement de Bellezza, seule dans la cage scénique entièrement vidée et sous le blafard éclairage zénithal, pour sortir par la porte monumentale, légèrement entrebâillée, de l’arrière du théâtre : l’avenir reste ouvert à tous les possibles…

Sous cette puissante direction d’acteurs, qui ferait même douter que l’œuvre n’ait pas été conçue initialement pour la scène, le plateau donne à chacun une vie intense et idéalement individualisée. Cecilia Bartoli s’est très heureusement projetée dans le rôle de Piacere, aux cheveux courts et tout de rouge vêtu, qui correspond sans doute à l’un des aspects de son exceptionnelle personnalité.

Le mordant des attaques, la virtuosité admirablement préservée de la vocalise et la beauté du médium cuivré font merveille dans l’incarnation de ce diabolique tentateur, dont l’irrésistible « Un leggiadro giovinetto » déclenche les premiers applaudissements, avant un « Lascia la spina » distillé avec autant d’émotion que de science.

Lawrence Zazzo est non moins pertinent pour les patientes et suaves persuasions de Disinganno – posé un temps en psychanalyste de l’héroïne : difficile de résister au divin coloris des aigus et aux impalpables raffinements du phrasé, même si le bas du registre n’a pas tout à fait la même homogénéité. Faisant du même coup paraître moins exceptionnel, pour le timbre comme pour le style, le Tempo de Charles Workman, pourtant familier du rôle, dont il a la parfaite intelligence, comme la superbe diction.

Remplaçant pour cause de maternité Mélissa Petit, qui avait assuré la création de la production, en mai dernier, au Festival de Pentecôte (Pfingstfestspiele), Regula Mühlemann, enfin, donne une prestation éblouissante, saluée triomphalement par le public. Sans doute pas au cœur de son répertoire, comme l’accuse le contraste avec les experts du baroque qui l’entourent. Mais la pureté de la voix, aux idéales dimensions de la salle, et la grande beauté en scène, comme l’intensité d’un engagement de tous les instants, jusqu’au pathétique, emportent largement l’adhésion.

Après quelques hésitations excusables au tout début, le splendide coloris de l’orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco ne cesse d’enchanter, sous la direction vibrante et idéalement contrastée de Gianluca Capuano.

Une réussite d’ensemble, qui marquera prioritairement l’édition 2021 du Festival.

FRANÇOIS LEHEL

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