Opéras La Dame de pique s’améliore à Toulon
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La Dame de pique s’améliore à Toulon

13/05/2022

Opéra, 6 mai

Cette coproduction entre la Région Sud et les Opéras de Nice, Marseille, Toulon et Avignon nous avait laissé une impression mitigée, lors de sa création niçoise, en mars 2020 (voir O. M. n° 160 p. 54 d’avril). Nous avions pourtant envie de lui redonner sa chance, raison pour laquelle, le Covid ayant complètement bouleversé le calendrier initial, nous avons fait le voyage à Toulon pour assister à sa première reprise.

Disons-le d’emblée : nous avons eu raison, le résultat s’avérant incomparablement plus convaincant ! À un bémol près : Karine Babajanyan, Lisa en tous points inférieure à Elena Bezgodkova. Le timbre de la soprano arménienne manque de jeunesse et de charme, comme ses accents, et l’intonation est souvent prise en défaut.

Reconduits, Artavazd Sargsyan et Nika Guliashvili font toujours grosse impression en Tchekalinski et Sourine, Serban Vasile, en nets progrès, dessinant cette fois un Eletski tout de fermeté et de séduction. Quant à Marie-Ange Todorovitch, sa Comtesse, impeccablement chantée et formidablement incarnée, demeure l’un des gros atouts du spectacle.

Côté nouveaux venus, une fois salués le Tomski très professionnel du baryton ouzbek Alik Abdukayumov et la somptueuse Pauline de la mezzo anglo-singapourienne Fleur Barron (gare, cependant, à ne pas trop creuser le grave, au risque de fragiliser l’aigu !), l’Hermann du ténor irlandais Aaron Cawley mérite que l’on s’y attarde.

Nous n’avions personnellement jamais entendu cet artiste, né en 1986, attaché à l’Opéra de Wiesbaden (Hessisches Staatstheater), où il chante notamment, en plus d’Hermann, Manrico (Il trovatore) et Don José (Carmen). La voix est impressionnante, avec ce grave de baryton et cet aigu claironnant qui font la spécificité du héros de La Dame de pique. L’acteur est aussi très à l’aise, avec l’atout d’un excellent physique. Espérons qu’il ne se brûlera pas les ailes, la tension perceptible dans le haut du registre soulevant une légère inquiétude.

Il y a deux ans, l’Orchestre Philharmonique de Nice et György G. Rath, son directeur musical de l’époque, tendaient à plomber la représentation. L’Orchestre de l’Opéra de Toulon et l’Orchestre National Avignon-Provence, réunis sous la baguette de Jurjen Hempel, l’enflamment. Le chef néerlandais rend admirablement justice aux moindres subtilités de la partition, sans jamais sacrifier son souffle prodigieux, ni son lyrisme irrésistible.

Dommage que les Chœurs (Toulon et Avignon, ici, après Toulon et Nice, en 2020) n’évoluent pas sur les mêmes cimes, avec une section masculine, une fois encore, supérieure à la féminine. La production, il est vrai, ne les met décidément pas en valeur.

Est-ce parce que nous les connaissions déjà que les partis pris d’Olivier Py et Pierre-André Weitz nous ont moins irrité ? La grisaille permanente, le choix de montrer une Russie « en phase terminale », entre vitres explosées et sinistres barres d’immeubles (alors que texte et musique disent régulièrement le contraire), nous paraissent toujours rédhibitoires. Mais ils sont compensés par une direction d’acteurs d’une intensité fulgurante, comme par des aspects du spectacle dont nous avons mieux mesuré la pertinence.

Ainsi du spectre de la Comtesse, en scène jusqu’à la fin, soulignant la dimension fantastique du livret et renvoyant à l’univers d’E. T. A. Hoffmann ; de l’omniprésence d’un danseur et d’un piano, symboles de deux disciplines musicales, dans lesquelles Tchaïkovski s’est illustré avec autant de succès qu’à l’opéra ; ou encore de cette référence récurrente à la mort, source d’images d’une force sidérante.

Suite et fin de l’aventure, les 27 et 29 mai, à Avignon, avec les mêmes forces orchestrales et chorales, le même chef, et une distribution en partie différente, où Elena Bezgodkova reprendra sa place en Lisa.

RICHARD MARTET


PHOTO © FRÉDÉRIC STÉPHAN

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